Connue pour être le coin du Beau rivage - les anciens habitants d'Ain Taya l'appelaient Karmouda - la plage de Kadous est située à la frontière entre les communes de Ain Taya et Heuraoua, à 30 kilomètres à l'est d'Alger. Cette plage qui, dans un passé très proche, recevait «un quart de million d'estivants par jour» est aujourd'hui engluée dans la pollution. Une situation qui a fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours. Sur les réseaux sociaux, des citoyens se disent déçus pour l'état de cette plage. Tous les visiteurs de la plage sont choqués par la couleur de la mer, qui d'un, bleue océanique, vire au rouge salissant. Mardi 11 juillet A notre arrivée sur les lieux, une odeur nauséabonde nous accueille. Les plaques signalétiques relevant des services de la wilaya d'Alger indiquent que l'accès à la plage est gratuit. Elles rassurent aussi que la baignade est autorisée. Des affirmations aussitôt démenties par les employés de la plage. «Vous devez payer 100 DA pour accéder au parking et 500 DA pour réserver une place sur le sable», nous a dit, à l'entrée, l'agent de sécurité portant un gilet orange, sur lequel il était écrit ‘'Office de gestion des plages et des lieux de loisirs d'Alger OPL''. Nous avons voulu savoir d'où provenaient les mauvaises odeurs. il répondra : «Cette odeur est due aux eaux usées du lac de Reghaia, juste en face». Il ajoute encore : «Un déversement des eaux usées et non traitées est pratiqué ici depuis plusieurs années». Avant d'expliquer : «Les eaux usées parviennent du lac de Reghaïa ; leur source demeure la zone industrielle de la même localité. Elles arrivent même des villes de Ain taya, Heuraoua et autres». Mohamed, un citoyen habitant à la cité Ben Saidane, située à Réghaia Plage, nous a déclaré(tout en nous montrant le côté est du Lac de Réghaia) : «J'habite de l'autre côté, depuis ma naissance. Auparavant, des vacanciers de différentes nationalités venaient passer d'agréables moments ici». Il ajoute : «Cet endroit était propre. Il y avait même des poissons dans ce lac». Il enchaîne : «Aujourd'hui et depuis plus de 5 ans, l'eau du lac est devenue polluée, affectant automatiquement toute la plage et encore les terres agricoles des régions. Moi personnellement, j'ai abandonné le métier d'agriculteur». Mohamed conclut : «on n'arrive même pas à ouvrir, de jour comme de nuit, les fenêtres de nos maisons. Nous respirons de l'air toxique quotidiennement». Il ajoute : «Dans les années 80, le lac disposait d'un bateau équipé d'une grue. On l'utilisait continuellement pour augmenter la superficie du lac d'une part, et aussi pour nettoyer les effets des intempéries». Nous avons poursuivi notre visite sur place, afin de constater la situation de plus près, et prendre également des photos. Il était 14h 30. Nous avons fait pas à pas tout le circuit d'un canal de 8 à 10 mètres de largeur et de plus de 500 mètres de longueur, reliant le lac à la mer. L'odeur des eaux crasseuses a dominé durant notre traversée. Cette odeur parvenait des eaux «rosâtres» provenant du lac de Reghaia pour se jeter directement dans la mer, en passant dans ce même canal. «Tout ce que nous pouvons dire : c'était trop dur ! C'est une situation jamais vécue, même dans un film», nous a dit le responsable du nettoyage et de la sécurité des plages kadous et Tarfaiat, que nous avons rencontré juste après notre prise de photos. «Je vous ai suivi depuis tout à l'heure, vous êtes de la presse n'est-ce pas ?», dit-il. Nous lui avons demandé des explications sur la situation de la plage. Il répond : «Tout est clair comme l'air pollué que nous respirons ici. Moi je travaille dans cette plage depuis 14 ans. L'itinéraire de ces eaux usées se dirige selon la direction du vent et du courant marin. Si le souffle des vents vient du côté de l'ouest, les plages Kadous, Reghaia plage, et jusqu'à celle de Corso sont polluées et sales». Il poursuit : «Si le vent est d'est, le trajet des eaux polluées se fera automatiquement en sens inverse, affectant une grande partie des plages Kadous, Tarfaia, (les canadiennes), Deca plage, et aussi celles de Surcouf et de Déchra (Hai Achouhada)». Ce responsable du nettoyage des plages Kadous et de Tarfaia poursuit : «Normalement, les baigneurs doivent, au moins, être informés que la plage kadous et même toutes les plages que je vous ai citées sont impropres à la baignade ; ces plages sont polluées par les déchets chimiques de la zone industrielle de Réghaia-Rouiba». Nous avons insisté pour plus de détails, il précise : «Le lac de Reghaia est totalement rempli d'eaux usées provenant de plusieurs dizaines d'entreprises industrielles situées entre les villes de Reghaia et de Rouiba. Ces eaux usées sont jetées dans le lac par la station d'épuration de Reghaia. Plus grave, cette station ne nettoie pas bien les eaux depuis 7 ans, voire plus». «Polluées, les eaux de ce lac ont été même la cause directe de la mort d'une vache. Le propriétaire relevant des régions d'Ain El kahla témoigne que cette vache est morte sur place après avoir bu dans le canal qui déverse les eaux usées dans la mer. Cet homme nous a montré aussi sa voiture personnelle, qui fait office de bureau, magasin et poste de garde. «Voici tout le matériel de nettoyage des toilettes et autres endroits de la plage, c'est des produits détergents, des sacs poubelles et une pelle». Un peu plus loin de la petite forêt transformée en parking et en décharge publique sur un sable doré, nous avons interrogé quelques estivants à la plage kadous, pour savoir s'ils sont au courant du danger auquel ils sont exposés. Certains étaient un peu conscients du «drame», ils ont justifié leur choix de venir à une plage, même polluée, par le manque de plages à Alger. «J'ai vu la couleur de la mer qui ne semble pas naturelle, elle est entre le rose et le rouge. J'ai senti aussi une mauvaise odeur. Mais la plage Kadous a, de tout temps, été le seul endroit propre de la capitale. C'est pour cela que nous acceptons d'y nager quelles que soient les conditions», nous a lancé un père de famille, la cinquantaine, venu avec ses trois enfants. Nous avons quitté la plage kadous après une longue journée chargée de constatations insolites. Mercredi 12 juillet entre Reghaïa et Kouba Un employé de la commune de Reghaia, qui a requis l'anonymat, nous fait un état des lieux : «Ce lac était classé parmi les sites environnementaux mondiaux dans le cadre de la convention dite Ramsar. Il était aussi protégé pour ses divers trésors naturels, une plage paradisiaque, un lac connu pour ses eaux propres où vivaient même des poissons, les carpes, les tortues et tous types d'oiseaux». Il ajoute : «C'était le beau rivage, transformé aujourd'hui en mauvais mirage». Il poursuit : «Aujourd'hui, le lac de Reghaia et la plage Kadous sont les victimes d'une zone industrielle, de même que les habitations de plusieurs communes de Rouiba, Ain Taya, Reghaia, et Heuraoua, qui ne cessent de subir leurs déchets industriels et ménagers dans le lac». Ce même fonctionnaire ajoute que «le pire est que la station d'épuration de Réghaia ne traite pas convenablement les eaux usées». Nous avons essayé de nous rapprocher d'un responsable de la station d'épuration située à la sortie de la ville de Reghaia, en allant vers la commune de Heuraoua. Sur place, l'agent de sécurité nous fait savoir qu'il est absolument impossible d'y accéder, ni encore de voir un responsable. «Il vous faudra une autorisation délivrée par la direction générale de la Seaal de Kouba», nous a-t-il répondu. Voulant nous enquérir du fonctionnement de cette station d'épuration, nous avons essayé d'obtenir des détails au niveau de la Direction générale de la Société des eaux et de l'assainissement d'Alger-Seaal. La directrice de la communication nous apprend que «le directeur chargé de l'assainissement et également des Stations d'épurations STE, est en congé annuel». Nous avons demandé s'il était possible de rencontrer le directeur général de la Seaal, Jean-Marc Jahn. En vain. Pour ce qui est d'une éventuelle, autorisation d'accès à cette même station, la réponse de cette même responsable a été également négative. Jeudi 13 juillet à Réghaia Le responsable du service d'hygiène de l'APC de Réghaia, le Dr Ouadi, qui nous a reçus dans son bureau, affirme qu'il est au courant de la situation des eaux usées non traitées du lac de Réghaia. Ils attendent seulement une requête, attribuée et signée par les citoyens qui sont affectés par la pollution des eaux. «Il y a un service de la direction de l'hydraulique et des ressources en eau, au niveau de la station d'épuration de la Seaal, juste à la sortie de la ville de Réghaia. Ils ont même un bureau au niveau de la daïra de Rouiba. Allez les contacter, ils sont responsables de toute la situation», lance notre interlocuteur. Avant d'ajouter : «Nous, en tant que collectivité locale, ne pouvons même pas sortir de notre bureau sans une requête signée par les citoyens affectés par la pollution des eaux du lac de Réghaia. Ce document nous couvrira administrativement». Ce même responsable, qui semble passionné par les documents et la bureaucratie, déclare encore : «A travers cette requête, les citoyens vont apporter leur l'aide à l'administration». Nous avons pris congé du Dr Ouadi, direction la daïra de Rouiba et non pas celle de la Station d'épuration de Réghaia, faute d'autorisation d'accès à la Direction générale de la Seaal de Kouba. Une fois sur place, l'agent de sécurité nous donne deux numéros de téléphone fixe et nous a demandé de contacter le service de l'hydraulique de la daïra de Rouïba, tout en nous confirmant que le responsable, un certain M. Gharsi, vient de sortir quelques minutes avant notre arrivée. Nous avons essayé de joindre les deux numéros. Sans réponse ! Sur le site web de la Seaal … Sur le site internet de la Seaal, nous avons appris que cette entreprise gère «les périmètres des wilayas d'Alger et de Tipasa, sept stations d'épuration» et aussi un rendement d'élimination de la pollution a même avoisiné le taux des 95%. Pour ce qui est de la Station de Traitement des Eaux Usées de Réghaia, le site internet de la seal écrit que «La STEP actuelle de Reghaia a une capacité épuratoire de 400 000 Eq.Hab, pour un débit moyen théorique de 80.000 m3/j». Concernant l'histoire de cette station la source, il ajoute : «La station a été construite en 2 étapes. La première tranche, consistant en un traitement primaire des effluents, a été mise en service en 1997. La seconde tranche, mise en service en 2008, a complété le traitement par une filière biologique et un traitement tertiaire. Une extension est prévue pour porter la capacité de traitement de la STEP à 900 000 Eq.Hab». En ce qui concerne les difficultés techniques rencontrées, la même source annonce que la station reçoit actuellement un effluent de l'ordre de 67% du temps au-delà des valeurs de dimensionnement de la station. Cette station a reçu en moyenne 62.300 m3/jour en 2013 et produit 10.400 tonnes de boues à 33.2% de siccité. Pour rassurer sa clientèle, la Seaal a présenté les taux des eaux traitées dans la région de Réghaia. Dans ce sillage, il est écrit dans son site internet que " «les performances de traitement permettent de garantir une conformité du rejet supérieur à 92% sur 2013 et un rendement d'élimination de la pollution supérieur à 92%. Ces chiffres révèlent une très bonne performance de la station en considérant le fait que l'effluent d'entrée dépasse la capacité nominale de la STEP en termes de pollution à traiter». Toutes ces garanties données par la Seaal ne semblent pas être respectées, du moment que la plage la plus propre d'Alger connaît aujourd'hui un fort taux de pollution. La pollution de nos plages ne fait qu'augmenter. La plage kadous qui était, il y a quelques années, un vrai paradis, est transformée aujourd'hui en un réservoir de rejets toxiques. Selon toutes les déclarations recueillies durant trois jours, il nous semble qu'il s'agit d'une erreur de casting commise par les autorités. La solution vue par Mme Zerouati La création d'un tout nouveau ministère chargé de l'environnement va-t-elle régler les grands problèmes de la pollution dans notre pays, à l'instar du lac pollué de Réghaia et tant d'autres. «Le ministère de l'environnement fera tout pour régler ce problème. Les usines de la zone industrielle de Reghaïa sont la cause de la pollution de cette côte. Les eaux usées sont régulièrement déversées dans la mer Méditerranée via les plages de la commune de Aïn Taya», a déclaré dernièrement à la presse Fatma Zohra Zerouati, ministre de l'environnement. La ministre a indiqué aussi que son département a mis en place une stratégie pour rendre le pays plus propre. Pour Mme Zerouati, «il est grand temps de relever le défi». Pour cela, une étude détaillée est en cours afin de trouver et remédier aux failles de ce secteur.