«Nous en sommes à notre huitième interdiction. Rien ne justifie cet acharnement de l'administration locale. Nous essayons d'entretenir un espace d'échanges où se rencontrent des idées, où se lient des amitiés, où se crée de la poésie et où se forge la liberté», dénonce Abderrahmane Amara, président de l'association Azday Adelsa n weqqas, organisatrice du café littéraire d'Aokas. Interdiction. Le contrôle de la vie culturelle et intellectuelle s'accentue dangereusement. Les espaces où s'expriment l'intelligence citoyenne, le génie artistique et les idées libres porteuses de savoir et d'émancipation dérangent. Les pouvoirs publics qui distribuent - l'on se demande par quelle autorité morale et scientifique - les interdictions ou les autorisations des rencontres littéraires sont passés à une autre étape : pernicieuse. Le bâton de la proscription et de l'exclusion a été sorti avant-hier à Aokas, une paisible station balnéaire située à 25 km à l'est de la wilaya de Béjaïa. Le rassemblement pacifique auquel a appelé un collectif citoyen pour dénoncer l'interdiction systématique qui frappe le café littéraire qu'organise l'association Azday Adelsan a tourné à l'émeute. Les agents de l'ordre ont utilisé la force pour venir à bout de plusieurs dizaines de citoyens déterminés à tenir une conférence que devait animer, ce 22 juillet, Ramdane Achab, linguiste, auteur et éditeur. «J'étais à la tribune avec le conférencier en ma qualité de modérateur du café littéraire. Le silence était total, comme dans une cathédrale, pour respecter la langue d'écriture de Jean Amrouche. Les présents buvaient les paroles de Ramdane Achab pour ainsi dire. La situation n'était pas des plus apaisantes ou relaxantes. Nous étions tous angoissés. Nous avions ouvert le centre culturel et nous étions à l'intérieur alors que tout autour, il y avait des dizaines de policiers et d'agents antiémeute prêts à donner l'assaut», raconte Fatah Bouhmila, universitaire et animateur du café littéraire. «Une quinzaine de minutes après le début de la conférence, les agents de l'ordre ont fait irruption dans la salle et ont passé à tabac tous les citoyens venus assister à cette conférence», poursuit-il. «Ils ont d'abord brisé la plupart des vitres de l'enceinte et celles du couloir qui y mène. La violence des coups ajoutée aux fracas du verre qui tombait par terre ont tétanisé l'assistance», témoigne encore cet animateur, toujours choqué, 24 heures après avoir assisté à la brutalité des policiers. Notre interlocuteur se dit néanmoins déterminé à continuer à faire vivre cet espace culturel. «Nous n'allons pas abdiquer. Samedi prochain, nous recevrons le journaliste et écrivain Chawki Amari qui nous parlera de la littérature et de l'engagement politique». Fatah Bouhmila ne manque pas de saluer la mobilisation des citoyens, des acteurs politiques et des intervenants dans la vie culturelle de la ville qui s'est formée spontanément autour de ce lieu de partage artistique. «Il faut savoir que depuis jeudi dernier, l'affaire du café littéraire d'Aokas n'est plus l'affaire de l'association Azday. La société civile l'a prise complètement en charge. Sur la dernière déclaration, il y a eu 10 signatures de partis politiques et d'associations qui se sont solidarisés avec nous», se félicite cet universitaire. Omerta Il faut savoir que le café littéraire d'Aokas n'en est pas à sa première interdiction. Le président de l'association Azday Adelsan, Abderrahmane Ramdane, en dénombre au total huit, formulées par l'administration locale. Il ne comprend pas la loi de l'omerta qu'on veut à tout prix imposer au café littéraire. «Nous en sommes à notre 8e interdiction. Rien ne justifie cet acharnement de l'administration locale. Nous essayons d'entretenir un espace d'échange où se rencontrent des idées, où se lient des amitiés, où se crée de la poésie et où se forge la liberté», explique-t-il d'une voix tremblante, transpercée par la colère et la déception. Il pointe du doigt «la chef de daïra d'Aokas qui en est la première responsable. Notre café littéraire existe depuis trois ans. Nous n'avons jamais été inquiétés, alors même qu'on ne demandait aucune autorisation. Mais depuis les 7 derniers mois, la chef de daïra fait montre d'un zèle inexplicable», dit-il. Pourquoi agit-elle de la sorte ? «Je ne saurais vous donner d'explication. Je pense qu'elle ne fait qu'appliquer des ordres venus d'en haut», ajoute notre interlocuteur, en précisant : «nous n'avons rien à voir avec le MAK. Personnellement, en tant que président de cette association, je ne nourris aucune proximité avec le mouvement autonomiste kabyle». Inquiet de l'avenir réservé à ce lieu de socialisation, Abderrahmane Ramdane s'en remet à la société civile. «Le mouvement citoyen, la société civile, les partis politiques et des acteurs de la vie culturelle sont en train de se mobiliser. C'est une lueur d'espoir inespérée. Tout le monde semble interpellé. Nous n'allons pas abdiquer face à ces pratiques liberticides venues d'un autre âge».