Treize ans après le drame, le massacre des sept moines de Tibhirine en 1996 continue de soulever des doutes et des questions en France, où un ancien général évoque une bavure de l'armée algérienne.Les sept religieux avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars dans leur monastère isolé de Notre-Dame de l'Atlas, dans une zone où le GIA de Djamel Zitouni semait la mort et la terreur. Cible médiatique, les religieux faisaient l'objet de la sollicitude des autorités algériennes. Ils avaient refusé de quitter leur retraite où il était notoire qu'il leur arrivait de recevoir des terroristes pour leur prodiguer des soins. Leur philosophie était de soigner les blessés sans s'intéresser à leur identité. Leur enlèvement accroissait la peur des étrangers en Algérie et la France appelait ses ressortissants à quitter le pays. Il faudra attendre le 26 avril pour que parvienne une première information sur le sort des religieux. Dans un communiqué daté du 18 avril mais diffusé le 26, le chef du GIA, Djamel Zitouni, revendiquait l'enlèvement des moines, menaçant de les égorger s'il n'obtenait pas la libération de ses comparses. Le 23 mai, le GIA annonce «avoir tranché la gorge» des otages deux jours auparavant, en justifiant ce massacre par le refus de négociations du gouvernement français. Une semaine après, les têtes seront retrouvées mais jamais les corps. En déposant les armes dans le cadre de la «concorde civile», Ali Benhadjar confortait cette thèse. Il savait de quoi il parlait puisqu'il dirigeait un groupe armé, la LIDD, basé dans la région de Médéa où Djamel Zitouni sera liquidé en juillet de la même année par un groupe rival. On saura que la France a essayé d'établir le contact avec les ravisseurs après avoir eu la certitude que c'était bien des islamistes. En raison de son retentissement international, l'affaire avait été exploitée par les partisans du «Qui tue qui ?», puisant leurs arguments dans les témoignages de quelques rares militaires en rupture de ban. C'est le témoignage de l'un d'entre eux, Mohamed Samraoui, qui conduira à un dépôt de plainte en France, suivi de l'ouverture d'une information judiciaire. L'enquête était confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière. Parti à la retraite, il a été remplacé par Marc Trévidic, un expert des réseaux islamistes qui a entendu le 25 juin un ancien attaché de la défense français à Alger. Selon ce témoin, François Buchwalter, un général à la retraite, les moines ont été tués dans un raid d'hélicoptères militaires alors qu'ils se trouvaient dans ce qui semblait être un bivouac de terroristes. «Les hélicoptères de l'armée algérienne ont survolé le bivouac d'un groupe armé et ont tiré, s'apercevant ensuite qu'ils avaient non seulement touché des membres du groupe armé mais des moines», selon une source proche du dossier rapportant les propos du général. Le témoin a affirmé au magistrat tenir ces informations d'un ancien camarade algérien de l'école militaire de Saint-Cyr dont le frère était chef d'une escadrille d'hélicoptères à Blida. L'ancien attaché militaire a affirmé avoir appris la mort des moines dans le raid d'hélicoptères «quelques jours après les obsèques» des victimes et en avoir informé dans un rapport les autorités françaises : le chef d'état-major des armées et l'ambassadeur en poste à l'époque, Michel Levêque. «Il n'y a pas eu de suite, ils ont observé le black-out demandé par l'ambassadeur», selon cette source proche du dossier, citant la déposition du général Buchwalter devant le magistrat. Interrogé à ce sujet, le président français Nicolas Sarkozy a souhaité lundi que la justice «aille jusqu'au bout de son travail». L'avocat des parties civiles, maître Patrick Baudoin, a indiqué qu'il s'apprêtait à demander la levée du secret-défense «pour obtenir les rapports envoyés (par François Buchwalter, ndlr) au chef d'état-major des armées et à l'ambassadeur», ainsi que les auditions d'Hervé de Charette, à l'époque ministre des Affaires étrangères, d'agents des services de renseignements français ainsi qu'une nouvelle audition de Michel Levêque, ambassadeur à Alger au moment des faits.