Au sud, on vit en permanence la canicule. Le thermomètre monte à plus de 55°, entraînant en conséquence le ralentissement de toutes les activités humaines. Pas dans toutes les régions, heureusement. La chaleur qui embrase littéralement les villes du sud n'est pas sans conséquences sur l'activité humaine.Ni le secteur économique ni l'administration ne sont épargnés par les effets de la hausse des températures qui frôlent, dans certaines wilayas, les 55°à l'ombre. Pratiquement, toutes les régions sud du pays sont confrontées à cette réalité. Entre mai et fin septembre, le thermomètre oscille entre 35° et 45° avec des pics atteignant 60 à 65°, notamment dans la dépression du Tidikelt et dans le Touat. A Ouargla, Béchar, El Oued, Ghardaïa et dans la majorité des villes au nord du Sahara, les fortes chaleurs contraignent les hommes à cesser toute activité au-delà de midi. Une administration réfractaire ? Le travail dans des conditions extrêmes a toujours posé problème. Les autorités avaient beau imaginer des solutions, mais aucune, jusqu'à aujourd'hui, n'a semblé contenter les fonctionnaires. Il y a deux ans, le gouvernement avait promulgué le décret exécutif 07/227 du 24 juillet 2007, censé organiser les horaires de travail et leur répartition journalière durant la saison estivale dans les wilayas du sud. Selon ce texte, le travail commence à 7h pour s'achever à 15h, avec une pause-déjeuner d'une demi-heure prise entre 12h30 et 13h. On pensait en théorie que ces horaires arrangeraient à la fois les intérêts des travailleurs et ceux des administrations et des entreprises qui les emploient. Erreur, car dans la réalité, les choses se passent autrement. Les syndicats de la Fonction publique de Biskra et de Ouargla, entre autres, n'ont pas hésité à qualifier les nouveaux horaires de «punition collective infligée à tous les fonctionnaires». Et l'on comprend pourquoi : les villes du sud, quelle que soit leur importance, ferment pratiquement entre 12h et 17h et, à l'exception de quelques rares cafés et gargotes, aucune activité commerciale notable n'est décelée. A 15h, à la fin du travail, on ne rencontre pas âme qui vive. Il n'y a ni taxi ni autobus, et cette pénurie de moyens de transport oblige les gens non transportés à se terrer dans les rares cafés ouverts jusqu'à la reprise de l'activité. Ouverts mais fermés Très rares sont les administrations publiques qui appliquent à la lettre le texte de loi. Beaucoup continuent d'observer les horaires classiques, et c'est le cas des administrations de Ouargla - y compris la wilaya. En général, nous dit-on, les bureaux ouvrent à 8h et ferment à 16h30. La plupart des services ne fonctionnent en fait que pendant la matinée car, à partir de 12h30, les employés se «planquent» dans leurs bureaux d'où ils ne sortent qu'après 16h. Ces pratiques ne semblent d'ailleurs pas déranger les citoyens qui ne se plaignent pas en particulier de la façon de faire des bureaucrates.Depuis toujours, les habitants ont pris pour habitude de régler leurs problèmes administratifs dans la fraîcheur de la matinée et de faire leurs emplettes tard dans l'après-midi, lorsque les rayons du soleil se font moins mordants. Tamanrasset et ses daïras ne dérogent pas à la règle. Là aussi, il est rare de trouver une administration fonctionnant selon les horaires imposés par le décret du 24 juillet 2007. Des fonctionnaires de la direction de l'artisanat avouent ne pas en tenir compte et disent travailler «le plus normalement du monde», c'est-à-dire de 8h à 16h30. Idem pour ceux de l'agriculture, de l'éducation… Même à 55°, les chantiers ne s'arrêtent pas ! Dans la même région, il est des exceptions qui méritent d'être signalées. Entre autres, l'extraordinaire engouement des cadres chargés du suivi des chantiers du projet de transfert d'eau d'In Salah vers Tamanrasset. L'immense chantier, qui va du champ de captage de Oued Redjem, à 70 km au nord de In Salah, à l'entrée de la capitale du Hoggar, sur une distance de 750 km, est une véritable fourmilière. Une nuée d'engins creuse, terrasse, transpose et enfouit des kilomètres de canalisations, une noria de camions et de véhicules de soutien sillonne la nationale 1. Impensable il y a quelque temps, des hommes ont osé défier l'extrême chaleur du PK160, ce coin de désert entre In Salah et Arak, où le goudron chauffe à plus de 70%. «Plus qu'un défi, c'est la preuve tangible que l'homme ne connaît aucune limite», nous disent des responsables de l'ADE et de Cosider, joints par téléphone à Arak.«Quand il y a de la motivation, pas seulement pécuniaire mais surtout la reconnaissance de sa hiérarchie, le cadre algérien est capable de réaliser des prouesses.» Un de nos interlocuteurs avoue que si, au début, il a été choqué par l'hostilité des lieux et la rudesse du climat, aujourd'hui, son opinion a complètement changé sur le sud. Mieux, il nous dit avec fierté que «demain, lorsque le projet du siècle sera fonctionnel, je dirai à mes enfants que j'y ai participé». A. Laïb Les camionneurs du désert De In Salah à Tam, il faut avaler quelque 700 km de transsaharienne. Sur cette unique voie de ravitaillement de l'Ahaggar, une noria de camions sillonne par tous temps la contrée. Curieusement, une grande partie des engins sont immatriculés à M'sila, d'où sont originaires d'ailleurs la plupart des commerçants installés à Tamanrasset.«Ils transportent de tout, du ciment, du rond à béton, des matériaux de construction mais surtout des produits alimentaires», explique El Hadj Taguedda, employé chez Naftal. Son frère aîné, Ahmed, dira que «c'est grâce à ces gens que les villes de la wilaya de Tamanrasset doivent leur survie». Et ce n'est pas de l'exagération. La ville de Tamanrasset, qui compte aujourd'hui quelque 80 000 habitants, doit tout à la nationale 1, la Transsaharienne, et à ces transporteurs sans lesquels il serait impossible d'approvisionner les centaines de magasins qui y ont ouvert. Depuis les années 2000, beaucoup de particuliers originaires du Hodna et de la région de Sétif se sont installés dans cette wilaya de l'extrême sud. D'autres les ont suivis et tous, pratiquement, ont investi dans le secteur du transport. Ils travaillent chez des tiers, mais certains ont réussi, à force d'abnégation et de courage, à s'installer à leur compte. L'un d'eux, Maâmar, est propriétaire d'un tracteur Volvo quasiment neuf. «Je l'ai payé, dit-il, à la sueur de mon front». Et comment peut-il faire autrement : sur son engin chargé de victuailles parfois périssables, quelquefois de produits tels les climatiseurs ou les réfrigérateurs, il parcourt 2 000 kilomètres à l'aller et autant au retour. Il s'accorde quelques haltes indispensables, l'une à Arak, à 300 km d'In Salah, l'autre aux environs de Moulay Sidi Lahcen, point de ralliement de tous les routiers du sud, en particulier les conducteurs de camions-citernes de Naftal. Moins «riches» mais tout aussi courageux, d'autres transporteurs font carrément dans le colportage. Dans leurs vieux Saviem, des camions d'un autre âge, des groupes de commerçants parcourent les pistes qui les mènent aux villages les plus reculés du Hoggar. Ils vendent des vêtements, des ustensiles de cuisine, de la quincaillerie, des jouets et quantité de produits en plastique à usage domestique. Certes, ils se font des marges coquettes. Mais le danger est là qui les guette à chaque instant. Le manque de sommeil a fait que plusieurs se sont retrouvés sur le bas-côté de la route, les quatre roues en l'air. D'autres ont été immobilisés pendant des jours à la suite d'un ennui mécanique ou de la crevaison de plusieurs pneus à la fois. Le pire, c'est que beaucoup ont été dépossédés de leur précieuse cargaison. Plus que la chaleur intenable de l'été et le froid pénétrant de l'hiver saharien, c'est un affront que beaucoup ne peuvent supporter.