La douceur des journées d'été cache mal la colère de la population des douars de Sidi Rached. L'eau y est rare et le transport public se fait encore désirer. Moins heureux qu'ils ne paraissent, à défaut de se défouler dans les criques de Aïn Tagouraït, les enfants passent leur temps à travailler dans les champs ou les cafés. Yacine, le pizzaiolo, observait avec curiosité le cortège nuptial qui traversait à grands coups de klaxons l'avenue principale du village. Les jeunes employés du café d'à-côté ne voulaient pas non plus rater l'occasion de se rincer l'œil, en plus de lancer quelques quolibets en direction des jeunes femmes escortant le nouveau couple. Les propos sont plutôt rigolos, parfois grivois, mais cela ne gêne aucunement les automobilistes. Ni d'ailleurs les quelques vieux attablés aux terrasses du café qui palabraient depuis un bon moment sur le temps qu'il fait et cette maudite coupure d'eau qui affecte leurs douars. Paradoxe, la ville de Sidi Rached, située en plein cœur de la Mitidja Ouest, sur les rivages de ce qui fut, il y a plus d'un siècle, l'immense lac Halloula, dont plus personne ne se rappelle aujourd'hui, ne devrait pas manquer d'eau. La nappe phréatique est à seulement quelques mètres de profondeur, les forages nombreux, les canalisations posées depuis belle lurette et les châteaux d'eau fonctionnels. Mais pas pour tous les douars qui accusent un énorme déficit en eau pour cause de distribution inéquitable. Par petits bouts Au douar Abdelkader Tchalabi, un horrible groupement de masures décrépies construites autour de la ferme Trèze, elle-même à l'état de ruine, l'eau n'a pas coulé des robinets depuis 3 jours déjà. «On nous a ouvert les vannes pendant une heure et on les a refermées aussitôt ce matin», explique le président du comité de quartier. Rencontré à côté de l'ancien siège de la Protection civile de Tipaza, alors qu'il revenait à pied d'on ne sait quel ferme alentour, Farid Bouanem nous sort tous ses ressentiments envers l'APC. «Le douar est complètement marginalisé, il y a des carences dans tous les domaines, à commencer par l'eau qu'on reçoit au goutte-à-goutte, le transport qui fait cruellement défaut pour les enfants scolarisés et le logement rural dont on est exclu.» A l'intérieur de la ferme, il nous montre une habitation vieillotte, d'assez belle facture, qui devait être la demeure principale de Monsieur Trèze, l'ancien maître de céans. «Le toit et le plafond se sont effondrés sur ses occupants qui ont tenté de la remettre en état. Mais les autorités leur ont interdit de continuer les travaux.» Relevant du domaine public, au même titre que les terres qui entourent le douar, la ferme est incessible, inaliénable et imprescriptible. Raison qui ne permet aucune réparation aux familles qui l'occupent depuis l'Indépendance. Faute d'entretien, la ferme s'en va par petits morceaux. Elle finira par disparaître comme tant d'autres constructions rurales héritées de la colonisation. Le drame, c'est qu'aucune solution n'est proposée aux habitants. Beaucoup se sont résignés à construire des baraques en parpaings et à ériger autour des clôtures en zinc, accentuant l'aspect misérable des lieux. M. Bouanem est dépité par le manque de réactivité des autorités locales. «Nous avons saisi le maire dès son élection. Il promet à chaque fois de faire quelque chose pour le douar Tchalabi mais nous n'avons rien vu venir.» Forcément, cela crée des suspicions entre les élus et la population. «Et comment penser du bien de nos représentants lorsqu'on décide, contre toute logique, d'attribuer les 10 logements ruraux en construction dans notre douar à d'autres personnes ?», s'interroge le président du comité de quartier. Il nous révèle également que la demande introduite en 2008 par quelques habitants de la ferme de construire des habitations sur une parcelle marginale est gelée au niveau de l'APC. «D'un côté, on attribue des logements construits sur les terres de notre EAC à d'autres gens, de l'autre on nous refuse de construire des logements décents, cela veut dire quoi au juste ?», s'emporte notre interlocuteur. «Il faut aller à Bazar pour aller à Bérard» Serveur occasionnel dans un des nombreux cafés qui bordent la route principale de Sidi Rached, Othmane Cherifi n'a pas la langue dans la poche. Ce jeune collégien de 15 ans connaît tous les secrets de son village. A commencer par les ennuis financiers de l'équipe locale de football, qui a poussé ses nombreux sociétaires à chercher une place ailleurs. Lui-même footballeur, il s'est inscrit dans l'équipe minime de Hadjout, à quelques kilomètres d'ici. Avec d'autres enfants de son âge, dont son équipier Mohamed Berrahmoune, il nous raconte toutes les misères des jeunes durant l'été. «Pour se rendre à la mer, il faut aller à Bazar (Tipaza dans le langage des gens de la région) pour aller à Bérard (Aïn Tagouraït) car de Bazar, c'est plus facile d'emprunter les minibus qui vont vers Bérard», explique-t-il. Nous osons une question : pourquoi ne pas rejoindre Bérard par le tombeau de la Chrétienne ? «Impossible, il faut faire du stop et c'est pas évident. Les transporteurs ne passent pas par là sous prétexte que la côte est trop raide pour leurs J9. Sinon, il faut louer un taxi clandestin à 200 DA la place pour l'aller et le retour.» Le problème se pose surtout pour les jeunes des nombreux douars non desservis par le transport rural. «Les Serahna, les Keiraouiyine, les gens de Haouch Robert, Haouch Jaquemin et Dimouchi sont obligés de marcher à pied», explique Othmane. Ses camarades renchérissent, ajoutant une foule de noms de lieudits difficiles à transcrire, où la marche à pied est la règle. Nous retenons Haouch Lihoudi, Douar Rahmane, Bossijour, Fersane… où, semble-t-il, il y a un manque flagrant de moyens de transport. Passe pour ceux qui habitent les hauteurs du village, du côté de Sidi Boumaaza, ou du premier douar des Serahna, qui peuvent se payer un trajet de deux ou trois kilomètres à pied. «C'est surtout les gens des autres douars éloignés qui souffrent, surtout durant l'année scolaire.» Sur la nationale 67, pourtant bien desservie à partir de Hattatba ou de Hadjout, les écoliers font les frais de la politique mercantile des transporteurs. Ces derniers refusent de les prendre sous prétexte qu'ils encombrent les bus et qu'ils ne paient pas le tarif complet. Faux, explique El Hadj Abdelkader, qui tient un commerce à Sidi Rached. «Non seulement on leur exige le tarif complet mais, en plus, les bus viennent carrément bondés de la station principale.» Ses neveux qui habitent dans un hameau à l'embranchement de la route menant vers Aïn Tagouraït et Rahmane en savent quelque chose : «Les bus sont trop petits, ils sont vieux et les conducteurs ne s'arrêtent presque jamais quand ils nous voient en groupe.» Cette situation a provoqué de nombreuses rixes entre les parents et les transporteurs, parfois le blocage de la nationale 67. L'unique bus de l'APC affecté au transport scolaire ne peut suffire aux 17 douars, et c'est pratiquement le même problème qui surgit à chaque rentrée scolaire. «Les champs nous occupent» Entre deux baignades à Rocher plat ou dans la crique du cimetière chrétien de Bérard, les jeunes de Sidi Rached se font employer comme saisonniers agricoles. Les exploitations sont nombreuses qui font dans le maraîchage et l'arboriculture fruitière, grosses avaleuses de main-d'œuvre. «Ça dépend du travail qu'on fait, du produit qu'on récolte, de la saison…», explique Rédha, un collégien que nous avons rencontré dans un champ où l'on récoltait des tomates, près de Haouch Jaquemin. «Si c'est à la tâche, on perçoit une certaine somme sur chaque cageot récolté. Si c'est à la journée, alors on exige 400, 500, voire 600 DA, tout dépend du produit.» Très débrouillards, les enfants de cette région ne rechignent pas à la tâche, beaucoup se faisant un petit pactole l'été qui servira à acheter bien des choses à la rentrée scolaire. Au passage, nous remarquons bien des changements depuis les années de braise, où l'activité agricole a connu un déclin sans précédent. Les champs reverdissent, de nouvelles plantations d'arbres fruitiers sont visibles le long de la nationale 67, en allant vers Ahmeur El Aïn et Bourkika, sur les hauteurs de Montbello, autour du mausolée royal de Maurétanie… Les 11 000 habitants de la commune vivent pour l'essentiel du travail de la terre ; l'administration offre quelques postes dans l'éducation ou la Fonction publique, et les activités tertiaires occupent quelques bras avec les rares industries implantées dans la région. Le chômage, en conséquence, ne fait qu'augmenter d'année en année, cueillant dans ses mailles nombre de jeunes en rupture de scolarité. Des solutions existent qui pourraient être l'emploi, notamment dans l'agriculture et l'agro-industrie. Mais pour cela, il est indispensable de franchir le Rubicon : repenser la propriété foncière des terres agricoles relevant du domaine public.