Aucun autre courant marin n'atteint la notoriété du Gulf Stream, devenu un véritable mythe depuis que M.F. Maury qui fut responsable de l' U.S. Navy's Hydrographical Office le décrivit en ces termes dans son ouvrage, The Physical Geography of The Sea paru en 1855 : «Le Gulf Stream est une rivière au milieu de l'océan, dont le niveau ne change ni dans les plus fortes sécheresses ni dans les plus fortes pluies. Il est limité par des eaux froides, tandis que son courant est chaud. Il prend sa source dans le golfe du Mexique et se jette dans l'océan Arctique. Il n'existe pas sur la Terre un cours d'eau plus majestueux : sa vitesse est plus rapide que celle du Mississipi ou des Amazones et son débit 1000 fois plus conséquent.» (*) C'est à lui que l'on doit aussi la comparaison avec les installations de chauffage central : «… l'eau chaude du calorifère de la Grande-Bretagne, de l'Atlantique du Nord et de l'ouest de l'Europe se trouve dans le golfe du Mexique. Le fourneau est la zone torride, le golfe du Mexique, et la mer des Antilles sont la chaudière. Le Gulf Stream sert de conduit. Du Grand-Banc de Terre-Neuve jusqu'aux côtes d'Europe se trouve la chambre à air chaud où les conduits s'élargissent pour présenter plus de surface au refroidissement». Ainsi explique-t-il les différences saisissantes de climat entre les deux bords de l'Atlantique nord : «C'est grâce à l'influence de ce courant que l'Irlande s'appelle ‘'Emeraude des mers'' et que les côtes d'Albion revêtent leur verte tunique, tandis qu'en face par la même latitude les côtes du Labrador restent emprisonnées dans leur ceinture de glace.». Cela s'applique aussi bien à la Bretagne où, et c'est le point de départ d'Erik Orsenna pour son Portrait du Gulf Stream, on vénère ce courant pour le climat bien tempéré qu'il lui assure. S'il existe des Hôtels du Gulf Stream en Floride, il en existe aussi à Roscoff et à Perros Guirec pour persuader sans doute touristes et vacanciers que la température de la mer sur la côte nord de Bretagne vaut bien celle de la Floride. Le Gulf Stream a aussi inspiré les peintres et a acquis maintenant une réputation médiatique et même hollywoodienne qui en fait une sorte de chef d'orchestre de l'évolution du climat avec cette question angoissante : peut-il s'arrêter et induire ainsi sur l'Atlantique nord des conditions climatiques quasi glaciaires en dépit d'un réchauffement global de la planète dû à l'accroissement de l'effet de serre ? Alors, le Gulf Stream peut-il s'arrêter ? La question, fréquemment posée par les journalistes met le scientifique mal à l'aise, car s'il répond «non», il énonce une vérité scientifique mais malheureusement il ne répond pas à la question réellement posée qui concerne un phénomène auquel participe effectivement le Gulf Stream mais qui ne conditionne en rien son existence : le fameux «tapis roulant» conséquence de ce que l'on appelle la «circulation thermohaline». S'il répond «oui», il satisfait mieux la curiosité du journaliste mais contribue à la mythification du Gulf Stream en entretenant la fiction d'un Gulf Stream fleuve qui «... prend sa source dans le golfe du Mexique et se jette dans l'océan Arctique», comme le décrit Maury et en faisant l'amalgame Gulf Stream = circulation thermohaline avec le corollaire que la seconde ne peut s'interrompre que si le Gulf Stream lui-même s'arrête. Ce qui est faux. -------------- (*) Traduction de P.-A. Terquem, Géographie physique de la mer, librairie militaire maritime et polytechnique, J. Corréard, Paris, 1861.)