Etre de formation architecte urbaniste et investir le septième art ne peut que constituer un sérieux penchant, d'autant que par atavisme le jeune Khaled Benaïssa a baigné dans un milieu propice à la culture et à la création artistique. Son père célèbre dramaturge n'a pas eu sa touche personnelle dans ce choix. Jeune, beau et la tête pleine d'ambitions et de rêves, Khaled s'est lancé corps et âme dans l'aventure du cinéma, il a un physique de jeune premier, un look, des aptitudes artistiques, une bonne faconde et une présence idoine. Le cinéma, c'est sa jouvence, sa motivation, sa stimulation.D'une grande culture, à travers ces propos transparaît beaucoup de courtoisie et de prévenance traduisant un milieu familial citadin. A l'orée de la trentaine, d'une grande maturité d'esprit, Khaled a une profondeur d'analyse qui étonne, tant les gens de sa génération sont encore superficiels et puérils. Sa sensibilité à fleur de peau fait de lui cet écorché vif qui ne conçoit pas la vie sans de vrais sentiments. L'amour prend une place prépondérante dans sa vie, et les passions le guident et le confortent dans ses prédispositions. Khaled, réceptif à son environnement immédiat, fait une incursion dans la réalisation pour traduire son ressenti et son vécu. Faisant preuve de perfectibilité, il va au fond des choses.Ses divers rôles dans de nombreuses productions cinématographiques témoignent de son talent avéré et de sa pugnacité à poursuivre cette voie artistique. Consacré cette année par le Tanit d'or au festival du court métrage de Taghit pour son œuvre Sektou (Ils se sont tus), ainsi que de la Caméra d'or du meilleur court métrage algérien, Khaled a su prouver son talent.Dialogue sincère et en toute liberté d'un personnage tout droit sorti de la comédie humaine. Le Temps d'Algérie : Votre parcours est atypique. Avec un diplôme d'architecture, vous intégrez le monde du cinéma, Pourquoi ce choix ? Khaled Benaïssa : Durant mes années d'architecture, j'ai eu M. et Mme Kassab des professeurs sensibles à la scénographie qui m'ont énormément sensibilisé à l'art scénique, à l'espace, et tous mes travaux d'architecture étaient orientés dans ce sens. Je présentais mes projets avec une dimension théâtrale importante face à un public composé d'étudiants et de professeurs, cela m'a donné cette assurance et mis à l'aise. De cette expérience, j'ai entrepris des cours de théâtre, ce qui m'a amené à passer des castings. J'ai décroché un rôle dans le film de Kamel Dahane Les Suspects, avec Sid Ali Kouiret en tête d'affiche. Etre face à une grosse pointure du cinéma a été une bonne leçon d'actorat. Puis peu de temps après, j'ai enchaîné avec les long métrages Manara de Belkacem Hadjadj et Hameau de femmes de Mohamed Chouikh. Le fait d'être avec des réalisateurs comme ces deux derniers, qui ont été eux-mêmes des acteurs, m'a donné envie, après moult discussions, de m'initier à la réalisation. De ce fait, j'ai réalisé mon premier court métrage Peur virtuelle en 2006 avec l'actrice Samia Meziane (fille de Sonia), et peu de temps après, dans le cadre d'un workshop Bledin Progres, Babel de Katia Kameli. Ces deux productions m'ont permis l'accès à deux mois de formation au sein de l'école de cinéma Femis de Paris, dans le cadre de l'université d'été. De ce cursus, j'ai effectué en fin de stage mon troisième court métrage intitulé Où ?Quand ? Comment ?. Ces trois diverses œuvres cinématographiques ont été présentées à divers festivals nationaux et internationaux dont celui de Taghit en 2007, Vues d'Afrique à Montréal en 2008, de Cabestany en 2007, de Perpignan en 2006, de Tanger au Maroc et de Tarifa en Espagne en 2007. Mon court métrage Babel a obtenu deux distinctions : le prix Maif au festival de Cabestany et le prix spécial du jury à Taghit. Toutes ces expériences m'ont encouragé à faire du cinéma mon métier et à créer ma société de production Patio Prod avec mon ami et associé Samir Messaoudi. N'y a-t-il pas une part d'atavisme familial dans votre prédilection pour les arts, particulièrement le septième art ? Sûrement, dans mon inconscient, j'étais promis pour une carrière d'architecture, et je me retrouve dans cet univers artistique lié à l'art scénique qui est le cinéma et le théâtre. Votre avis sur le statut de l'artiste ? Il y a l'Association des réalisateurs et producteurs algériens (Arpa) qui fait un travail dans le sens d'améliorer le statut de l'artiste en général et du cinéaste en particulier en matière de droits et de considération. Ce genre d'initiative œuvre à promouvoir ce statut. Il faut signaler que partout dans le monde, à ses débuts, l'artiste assure avant tout son gagne-pain en attendant la notoriété pour vivre de son art. Que pensez-vous de l'exil des jeunes artistes ? Je suis contre les jeunes qui quittent leur pays. L'artiste a un rapport à l'espace et au temps contrairement aux autres individus. Tous les créateurs ont commencé à partir de leur environnement immédiat, de leur village natal, comme Mouloud Feraoun, Matoub Lounès, Elvis Presley et James Dean. Pour être universel, il faut connaître parfaitement son propre univers. Comment est née l'idée de créer votre boîte de production ? L'idée de créer ma boîte de production s'est concrétisée pour gérer mes propres projets et me donner les moyens de ma politique. Faire des courts métrages, c'est très complexe, car ce sont des projets non rentables financièrement. Il est difficile de convaincre des boîtes de production à prendre en charge ce type de productions. On a créé une structure pour avoir un interlocuteur avec les institutions de notre secteur, dont le ministère de la Culture et l'Entv. Je ne suis pas passé du comédien au réalisateur, je suis toujours comédien et je fais de la réalisation pour des histoires que je veux raconter derrière la caméra. Qu'est-ce que vous privilégiez, la comédie ou la réalisation ? Je ne peux pas répondre à cela, je les envisage de manières différentes, je ne les compare pas. Être comédien, c'est avoir d'autres sensations et des approches différentes, elles sont complémentaires pour ma propre culture et formation. De là à préférer l'un à l'autre, cela n'a pas de sens. Quand je suis comédien, je raconte mon histoire avec mon corps et ma gestuelle à travers des personnages. Je vis le personnage, et quand je fais de la réalisation je fais vivre des personnages. Est-ce que la publicité ne vous a pas fait des clins d'œil ? Disons que la publicité aide à gagner sa vie et à faire des expériences du point de vue artistique. On a les moyens en 30 secondes d'essayer des dispositifs et des techniques de mise en scène. J'ai fait trois spots publicitaires pour la prévention routière pour le ministère du Transport et le tout dernier pour Algérie Poste relatif à la carte de retrait CCP. Cette opportunité permet d'assurer des projets financiers conséquents. Il est vrai que ce n'est pas de l'art pour l'art, mais une forme d'expression artistique qui répond à un cahier des charges et à un message idoine relevant du registre du marketing. Je continuerai d'en faire, cela me forme à faire du cinéma dans une condition conséquente. C'est grâce à une agence publicitaire algérienne qui m'a fait confiance en me confiant la réalisation du spot d'Algérie Poste relatif à la carte de crédit. Je souhaiterais dire aux agences de publicité et marques nationales qui font appel un peu trop souvent aux réalisateurs étrangers, qu'il existe des compétences algériennes parmi les nouvelles générations de réalisateurs. Votre avis sur le cinéma ? Je dirais que c'est la période la plus passionnante de l'histoire du cinéma algérien. Dans le cadre d'«Alger capitale de la culture arabe». le ministère de la Culture a permis la réalisation de 22 productions. Ce qui témoigne de la volonté des institutions. Le 7e art est dans un carrefour décisif et important pour son avenir. C'est la rencontre entre les institutions, les générations de cinéastes confirmés qui ont toujours soif de réaliser des films, et avec une nouvelle génération qui a soif d'investir ce métier. Ces trois pôles, ou trois vecteurs, ne peuvent que donner un nouveau souffle et orienter ce secteur vers une industrie du cinéma, à l'image des autres pays maghrébins et du Moyen-Orient. Votre nom célèbre vous a-t-il ouvert des portes ? Certainement, il m'a ouvert des portes, mais seul le travail peut laisser cette porte ouverte. Je n'ignore pas que le nom en raison de la notoriété de mon père rassure mes interlocuteurs, que ce soient les institutions ou les personnes. Mais en même temps, ils attendent de moi d'en être digne et à la hauteur. Il y a une difficulté due à une pression supplémentaire. Je ne cache pas que cette pression ne fait que susciter et augmenter ma motivation. Je suis motivé à faire ce métier de cinéma parce que j'ai renoncé à sept années d'études d'architecture. Cela prouve ce choix d'exercer cette profession. Faire du cinéma mon métier a été avant tout un choix personnel. J'ai exercé dans un bureau d'architecture pour le projet de construction d'une école durant un an. Quelles sont vos réalisations ? La réalisation du court métrage intitulé Sektou (Ils se sont tus), dont le tournage a duré dix jours, raconte l'histoire d'un animateur de radio nocturne qui rentre le matin pour dormir, mais le quartier est bruyant. Toute la problématique repose sur l'histoire du quartier. Dernièrement, j'ai joué dans la superproduction Mustapha Ben Boulaïd d'Ahmed Rachedi en interprétant le rôle du héros Larbi Ben M'hidi. Comment s'est effectuée votre rencontre avec Samia Meziane? La première fois, je l'ai vue lors du tournage du film Manara de Belkacem Hadjadj. Dans ce long métrage, après une longue amitié, on s'est marié dans cette fiction et, depuis, on projette de se marier dans la réalité. C'est une personne très importante pour moi aussi bien sur le plan personnel que professionnel et artistique. Manara est sa première apparition à l'écran en tant qu'adulte, elle a participé à l'âge de 6 ans dans un film et dans Taxi Medjnoun. L'argent, étant le nerf de toute activité, comment avez-vous eu l'apport financier pour l'entame du métier de réalisateur ? Pour l'aspect pécuniaire, c'est avec mon argent que j'ai financé mon premier court métrage Peur virtuelle. Pour ce faire, mon ami Mourad Khassar m'a prêté sa caméra et son matériel. Je remercie Aïda Guechoud et Samia Meziane d'avoir accepté de jouer gratuitement, ainsi que le directeur de plateau, notamment Ahmed Messad, Abane Othmane et Chamseddine Touzane m'ont aidé à faire le second court métrage avec beaucoup de complicité et d'amitié. Le cinéma est une histoire de rencontres et de confiance avant tout. Babel a été financé par Katia Kameli, ce qui a donné vie à cinq court métrages. Tout le mérite revient à Katia qui a énormément travaillé pour faire ce workshop. Ma troisième œuvre s'est effectuée lors de mon stage à Paris à la Femis. Sektou je l'ai produite avec Patio Prod, après l'aval du ministère de la Culture et de l'Entv qui ont accepté ce projet.