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«Les femmes d'antan avaient le haoufi ou l'andalou à se mettre dans la voix»
Entretien avec Mokhtar Hadj Slimane, chercheur en musique andalouse :
Publié dans Le Temps d'Algérie le 06 - 09 - 2009

Mokhtar Hadj Slimane, enseignant et chercheur en musique andalouse, nous parle dans cet entretien de son livre sur la musique andalouse à Tlemcen, sur les maîtres de la musique andalouse de sa région et de son coffret de 6 CD.
Le Temps d'Algérie :
Vous avez publié un livre intitulé Recueil d'informations élémentaires sur la musique andalouse à Tlemcen. Quel a été son écho auprès du public ?
Mokhtar Hadj Slimane :
Je dois vous avouer que je ne m'attendais pas à un aussi grand intérêt pour mon œuvre. A partir de là, on comprend aisément que ce genre de travaux manque terriblement à notre culture et que les gens sont en attente.
En dehors du fait d'être constamment félicité par les gens de notre milieu musical, j'ai eu l'honneur d'être l'invité, en 2003, d'une émission dont le thème était uniquement le contenu de mon livre et cela durant deux heures, à Radio El Bahdja, émission animée par ceux qui sont devenus mes amis par la suite, messieurs Nasreddine Baghdadi et le regretté Tarik Hamouche, Allah yerahmou, qui était un jeune plein d'espoir pour notre culture musicale, avec son sens professionnel dans la recherche et surtout sa personnalité d'une gentillesse et d'une civilité extrêmes.
Nous le regrettons énormément, mais telle a été la volonté de Dieu. Allah Yerahmou. J'ai également été invité, à deux occasions, par Radio Tlemcen pour des émissions sur le même sujet.
Là encore, je tiens à féliciter l'animateur de l'émission, le jeune Salim Hassar qui, par ses recherches et son abnégation, arrive à surprendre les «vétérans» que nous sommes, lorsqu'il nous présente des documents inédits, produits de ses recherches.
Ce jeune homme connaît très bien son sujet et est à encourager, et ceci est de ma part un appel lancé pour lui envers les autorités concernées, particulièrement notre ministre de la Culture.
D'autre part, j'ai été sollicité à plusieurs reprises pour des conférences que je n'ai malheureusement pu honorer pour des raisons de santé. Mon livre a fait l'objet de débats ouverts entre des spécialistes de la musique arabo-andalouse du Maghreb, des Français, des Marocains et des Algériens, lors de conférences sur le sujet.
Particulièrement lors de la rencontre rassemblant des juifs et des pieds-noirs nostalgiques de leur vie antérieure en
Algérie, et bien entendu nos compatriotes. En parallèle à cela, mon livre a été (il l'est peut-être toujours) utilisé comme instrument pédagogique dans des écoles de musique en France, dans les matières spécialisées dans la musique arabe du Maghreb. Je vous avoue que j'en suis très honoré.
Cela m'encourage et m'incite à faire d'autres travaux, en mieux si possible. Pour finir, et sans faire dans la publicité hautaine, tous mes livres ont été écoulés sur le marché.
Je crois que tout cela répond largement à votre question.
Pensez-vous que la musique andalouse est encouragée ?
Au vu des manifestations circonstancielles, tels les festivals ici et là et les soirées musicales «réellement» andalouses, elles aussi occasionnelles, nous pouvons aisément conclure que notre musique arabo-andalouse est vraiment laissée pour compte.
Ce qui manque le plus à cette culture spécifique c'est une prise en charge d'abord sur le plan organisationnel qui doit être permanent, c'est-à-dire des manifestations musicales, des conférences, des projections de films sur le sujet, des rencontres entre artistes et chercheurs, etc. et cela à longueur d'année et pas seulement lors d'occasions qui s'oublient très vite.
Ensuite, sur le plan des recherches sur le sujet, je suggère par exemple de mettre les archives, qu'elles soient entre les mains de l'Etat ou celles de privés (ceux-là il faut les convaincre, et là c'est une autre histoire), à la disposition des chercheurs afin de pouvoir finaliser leurs travaux par des éléments concrets telles des illustrations photos, sonores ou même cinématographiques.
Enfin, sur le plan de la persuasion auprès du public afin qu'il s'intéresse encore plus à sa musique, particulièrement la jeune génération qui se tourne vers des horizons étrangers à notre culture tout en délaissant la sienne, pure et saine.
Certains disent que Larbi Bensari avait les 24 noubas. Qu'en pensez-vous ?
Il faut savoir une chose très importante : cheikh Larbi Bensari a «déballé» tout son répertoire à son entourage d'artistes, à ses fils, à ses élèves et même aux mélomanes qui n'étaient pas forcément des musiciens. Ceci pour dire que cheikh Larbi avait conscience qu'il avait en lui toute une histoire culturelle et qu'il ne fallait absolument pas cacher jalousement.
Vers la fin de sa vie, il se disait très satisfait car, avec son âge avancé, il lui arrivait d'oublier comment se jouait tel ou tel mcedder ou telle ou telle touchia, il était remis dans les rails par son propre fils Mohamed ou par l'un de ses élèves, et cela le ravissait. Ainsi, on en arrive à la conclusion suivante : si cheikh Larbi avait dans son répertoire 24 noubas, nous les aurions nous aussi car il n'aurait pas manqué de nous les communiquer.

Dans le passé, les chanteurs de musique andalouse se produisaient aussi dans les zaouias. Existe-t-elle cette tradition ?
Vous savez, ici à Tlemcen, du moins aujourd'hui, un artiste est libre de jouer là où il veut. S'il choisit de le faire sur scène et en public, puis d'aller à la zaouia en faire de même, personne ne lui fait des reproches. Au contraire, parfois un artiste comme Hadj Ghaffour, dont la valeur sur scène n'est plus à présenter, a beaucoup d'admirateurs au sein des zaouias car il fait des dhikr (louanges à Dieu) d'une façon aussi subtile que sur scène. Il n'y a aucune tradition qui impose quoi que ce soit dans ce domaine. Dans le passé également, les artistes avaient le choix de faire le dhikr dans les zaouias ou pas. C'est la même situation.

Dans le passé, peu de femmes se sont intéressées à la musique andalouse à Tlemcen, comment se présente la situation à présent ?
Sur ce sujet, la nuance est nécessaire. Dans le passé, les femmes étaient aussi, intéressées, introduites et connaisseuses de la musique andalouse qu'elles considéraient, avec le haoufi, comme les seules ressources musicales qu'elles avaient.
En pourcentage, on peut avancer qu'elles étaient plus nombreuses à pratiquer cette musique que les femmes d'aujourd'hui car ces dernières ont la possibilité de se diriger vers d'autres créneaux musicaux tels le rai, le moderne ou autres.
Les femmes d'antan, comme je l'ai dit, avaient le haoufi ou l'andalou à se mettre dans la voix.
Aujourd'hui, nous n'avons pas beaucoup d'informations concernant ces «chanteuses de l'anonymat», à part notre Tétma ou Fifine Tlemsania ou deux ou trois autres, pour la simple raison que les hommes de l'époque ne laissaient aucune chance d'éclosion artistique à leurs filles ou leurs épouses, les mentalités étant bien différentes de celles d'aujourd'hui.
Il y a aussi les rares médias de l'époque qui ne s'intéressaient qu'aux artistes masculins, car avec les femmes il fallait d'abord passer par les hommes, et là le résultat est facile à deviner.
Aujourd'hui, la situation est différente. La femme artiste a toutes les portes ouvertes, que ce soit du point de vue artistique ou celui social. Les hommes d'aujourd'hui sont fiers de voir leurs filles ou épouses se présenter à la radio, à la télévision ou en public, et ceci est très significatif pour la préservation d'une culture longtemps emprisonnée par des considérations sociales.

Il existe pourtant de grands maîtres de la musique andalouse à Tlemcen, mais ils sont peu connus par le public, pourquoi à votre avis ?
Les maîtres d'aujourd'hui, et ils existent bel et bien, méritent autant d'égards que ceux de l'ancien temps. En ce qui concerne les anciens cheikhs, nous les avons en mémoire juste parce que l'histoire en a voulu ainsi, je veux dire qu'il y en a beaucoup d'autres que l'histoire a oubliés ou n'a pas voulu noter.
Parmi les plus connus on citera Berrahma, Mir H'Saine, Lazzouni Benali, et bien d'autres. Je vous dirige vers la page 27/28 de mon livre dans lequel vous trouverez un tableau très fourni en artistes de l'ancien temps. Vous y trouverez également des artistes contemporains, encore en vie pour la plupart, et qui ont dans leurs répertoires respectifs des trésors.
Je nommerai Yahia Ghoul, Salah Boukli, Amine Kalfat, Rifel Kalfat, Belkacem Ghoul, feu Amine Mesli, Fayçal Kalfat, Mohamed Kalfat, Med Charif, Abdelhak Inal, Abdelhak Charif, Tewfiq Benghabrit, Med, Hamdi, Kader Bekkai, et bien d'autres encore qui méritent d'être cités.
Vous voyez que Tlemcen, et ça a toujours été ainsi, a la capacité d'engendrer de grands artistes même si beaucoup d'entre eux vivent à la même période. Ils sont peu connus comme vous dites mais leur valeur n'est pas diminuée pour autant. Les raisons de leur «discrétion» artistique peuvent être très variées, de la volonté à rester inconnus du public à des raisons de santé, en passant par des obligations sociales ou familiales, et j'en passe. Chacun a ses propres raisons.
Vous avez aussi réalisé un coffret de 6 CD. Est-ce qu'il a été bien diffusé ?
Pour le coffret, n'ayant pas trouvé d'éditeur, je l'ai laissé dans le tiroir pour l'instant. Il est pourtant très fourni en informations sur le sujet, avec des illustrations sonores, photos ou vidéos très variées. C'est dommage pour le mélomane.

Des projets ?
Oui, il y en a toujours. A présent je me suis mis à la recherche des archives qui traînent ça et là et qui pourraient constituer des trésors de culture si elles sont mises ensemble et sous une forme bien organisée. Mais maintenant que j'ai acquis une certaine expérience dans le domaine de l'édition, je ne peux pas assurer au public que mes œuvres seront prochainement sur le marché, comme disent les artistes.


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