Saâdane Benbaâli est l'un des meilleurs connaisseurs algériens de la poésie arabo-andalouse. La Plume, la voix et le plèctre : poèmes et chants d'Andalousie est une nouvelle expérience pour vous... Ce livre est un projet à trois : Beihdja Rahal, Nadji Hamma et moi. L'idée était de continuer une collaboration qui était au départ limitée à une traduction des poèmes chantés par Beihdja Rahal dans les huit dernière noubate. Le livre est un moyen de visiter le monde du chant et des poèmes andalous à la fois d'une manière approfondie en abordant les questions les plus importantes, mais également d'une manière agréable puisqu'on a voulu d'un livre qui peut être lu avec plaisir. C'est un livre qui est accompagné d'un CD. Cela offre aux lecteurs la possibilité d'écouter. C'est une première expérience. Nous sommes satisfaits, en partie, par la qualité du travail qui a été fait par les éditions Barzakh, par l'accueil du public et de la presse. Cela nous invite à continuer. On livrera au public algérien un ouvrage dans les mois prochains. Vous avez développé dans ce livre une thèse sur la disparition des noubate du système Ziryâb. Qu'en est-il exactement ? J'ai développé un point de vue à partir de discussions avec les praticiens de cette musique à qui j'ai posé la question. J'ai pris la guitare et l'oûd en 1986 avec l'ensemble Al Mawssili. J'ai discuté avec les musiciens qui m'on expliqué ce qu'il pensent. Par la pratique, j'ai pu me rendre compte que ce point de vue tient la route. Je pense que les 24 noubate sont une création mythique. Il faudra qu'on nous démontre le contraire. Cela dit, il est sûr qu'il y a eu plus des douze noubate complètes que nous avons. Qu'est-ce qu'il a bien pu se passer pour que disparaisse un pan de ce répertoire ? Alors, soit certaines mélodies n'étaient plus chantées et donc ont été oubliées, soit des mélodies étaient proches de noubate voisines et il y a eu une espèce d'assimilation. Si l'on fait le compte sur plusieurs siècles, il est tout a fait normal de voir des pans disparaître du répertoire. La traduction des poèmes andalous en Algérie est plutôt rare. A quoi est due cette situation ? Il y a une traduction dans les livrets qui ont accompagné les CD de Beihdja Rahal, de Noureddine Saoudi et d'autres. J'ai entrepris un travail de traduction des poèmes andalous au cours de mes rencontres avec les associations en France. On me demandait à chaque fois de traduire les poèmes. C'est ma spécialité puisque j'ai fait une thèse de doctorat sur les mouwachahate. C'est donc devenu systématique. Avec Beihdja Rahal, nous avons traduit presque une centaine de poèmes. Il y a aussi le livre d'Ahmed Serri et d'autres anthologies. Quand il y a traduction, il ne faut pas hésiter à la refaire, parce qu'on est parfois pas d'accord avec ce qui été donné. Chacun doit défendre son point de vue. C'est au public de juger parce que nous lui offrons les textes en arabe et en français et nous attendons les réactions. Qu'en est-il de la conservation de la musique andalouse. Quel est le meilleur moyen de transmettre l'héritage ? Nous avons un double héritage andalous. L'héritage classique avec les mouwachahate et les azdjal, ces poèmes strophiques produits entre le Xe et le XVe siècles en Andalousie et dont une partie infime est chantée dans notre répertoire. Les Marocains chantent une partie plus importante que chez nous. Il y a un deuxième héritage qui est venu des poètes qui ont certainement écrit plus pour la musique andalouse que par la poésie elle-même. Des poèmes composés, à mon avis, entre le XVIe et le XIX e siècles. Ce sont plus des azdjal que des mouwachahate. On peut dire que l'héritage classique andalous ancien comporte quelque chose comme 700 poèmes. L'héritage postérieur comporte de 500 à 600 poèmes. Les textes de la seconde partie se promènent dans le Maghreb grâce 500 à 600 mélodies andalouses. Au Maghreb, il y a plusieurs écoles, Rabat, Tunis et autres. En plus des poèmes, les rythmes et mélodies sont-ils identiques au Maghreb ? Où on parle de poèmes, à ce moment-là on peut faire la comparaison pour s'apercevoir que les mêmes textes sont parfois chantés en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Ou alors, on parle des mélodies, et l'on s'aperçoit que certains noubate sont les mêmes (Chems Al Aâchiya par exemple), mais les Marocains ont des mélodies que nous n'avons pas et nous avons des mélodies qu'ils n'ont pas. Existe-t-il un problème de communication entre ces écoles maghrébines ? La première communication a commencé avec l'organisation du Festival de musique andalouse en Algérie à l'époque de Boumediène. Nous avons accueilli ici Cheikh Loukili, Hadj Abdelkrim Raïs, les orchestres de Tanger, de Fès et de Tetouan. Il y a eu des rencontres. Au début des années 1930, il y avait des rencontres au Caire. A l'époque, Cheikh Larbi Bensari avait représenté l'Algérie. Aujourd'hui, on le constate à travers des émissions comme « Chada Al Alhan » sur 2 M (deux chaînes de télévision publique marocaine), où l'on a invité des artistes algériens comme Nouredine Saoudi, Nacima, Beihdja Rahal. De même qu'on a invité en Algérie Abdel Ghani Majdoub qui a animé des concerts à Alger et à Médéa. Il y a bien une circulation qui n'est peut être pas suffisante, mais elle existe. Mais ce n'est pas parce qu'il y a circulation qu'il y aura homogénéité. Chaque école a un héritage marqué par l'empreinte de ses maîtres. Il est bon qu'il ait un héritage aussi varié. En Algérie, il y a l'école d'Alger, celles de Tlemcen et de Constantine. Existe-t-il des liens ? Ou chaque école est-elle jalouse de ce qu'elle a comme héritage ? Voilà une question à poser à Beihdja Rahal qui connaît mieux la vie des associations en Algérie. J'ai une vue moins proche. A Paris, où je vis, il existe au moins cinq associations de musique andalouse, la plupart sont des transfuges d'ensembles algériens. Elle ont gardé le style de leur maîtres et leurs répertoires. Lorsqu'il y a un concert de l'une d'elles, toutes les associations viennent assister. Il existe une bonne communication. ` Repères : Saâdane Benbâali est auteur avec Beihdja Rahal de La Plume, la voix et le plèctre : poèmes et chants d'Andalousie, paru aux éditions Barzakh, à Alger. Rencontré lundi après-midi, lors d'une séance-dédicace à l'Espace Noûn à Alger, il revient sur son travail de traducteur de poèmes andalous et de chercheur dans ce domaine. Il prépare actuellement un livre consacré à la jeune génération qui œuvre à la transmission du patrimoine musical andalou, Les Héritiers de Ziryab et une traduction en français des textes andalous chantés au Maghreb. Il a écrit plusieurs études et animé des conférences en Grande-Bretagne, en France, en Espagne, en Syrie et ailleurs sur l'art du tawchih. En 1993, il a publié à Paris Nous sommes tous des idolâtres, avec P. Levy et B. Ginisty. Maître de conférences à Paris 3 Sorbonne, il enseigne la littérature classique arabe.