Morne, morne, morne… morne et vide, le littoral, en ce vendredi matin. Le moral en prend un sale coup. La tâche ne va pas être aisée : comment parler des activités et du programme d'animation des hôtels touristiques quand ni les unes ni l'autre n'ont d'existence que sur papier, ou, quand ils tentent quelque réincarnation de ce qu'ils furent pendant des étés d'un monde antérieur, ils virent à la peau de chagrin tout naturellement. Démonstration. On débute par El Djamila, dont le toponyme ancien, la Madrague, avait l'effet irrésistible de rappeler, aux quelques soixante-huitards encore vivants en Algérie, un coin de la côte d'Azur de l'ex-métropole hantée par la célèbre Brigitte Bardot, alors à son zénith, et qui chantait de sa voix de Lolita attardée Coquillages et crustacés, une chanson emplie d'odeurs marines et de senteurs de cuisine estivale. Pour l'heure, ni coquillages, ni crustacés, ni odeurs enivrantes, c'est un site balnéaire désert que le tout petit groupe de pêcheurs, occupés à rafistoler les mailles de leur filet, et le marchand de poisson exhibant un maigre lot de merlans, ou de faux merlans (sait-on jamais, par les temps qui galopent !) n'arrivent pas à peupler. Le bruit même de leur voix semble épaissir le silence des lieux, comme le ton grave d'une basse met en valeur le rythme d'une musique, et l'on sait que les temps de silence dans cet art font partie de la beauté d'une mélodie. Pourtant, la journée est magnifique, le soleil luit dans un ciel pur et donne une sensation de fraîcheur et ne brûle plus l'épiderme, et la mer, étale et bleue, exhale de discrets effluves marins. Hélas, cette luxuriance de la nature, cette débauche de lumière, cet éden impromptu sur nos rivages quotidiens ont si peu d'adeptes pour les savourer et les admirer ! Mais où sont donc les êtres humains autochtones, à défaut de touristes qui boudent, non pas les sublimes paysages de notre pays mais nos mœurs, un tantinet renfrognés, quand ils ne dérivent pas sur l'intolérable intolérance. Fort probablement, ils dorment d'un sommeil alourdi par un plantureux s'hour en rêvant d'un gargantuesque f'tour. Et que la nature assume de n'être belle que pour elle-même, la délaissée ! Et à la fin du Ramadhan, adieu tourisme national, l'étranger étant devenu insignifiant depuis des lustres ; adieu, tourisme tout court, et pour plusieurs années ! C'était hier, et maintenant ? Mais voilà que nous apercevons le portail grand ouvert d'un autre symbole de la fin de de l'époque soixante – décidément ! – bien cher au cœur des étudiants et à la classe moyenne cultivée de l'époque, un restaurant où la chère était excellente et généreusement servie, et, sans jeu de mots, pas chère pour un sou ! Il s'agit, et les connaisseurs l'auront deviné, du restaurant «Chez Sauveur» qui n'a plus sa fameuse baie vitrée en bois, néanmoins. Nous montons l'escalier en ciment et nous débouchons dans la grande salle plongée dans l'ombre. Si nous nous attendions à surprendre des clients attablés, dégustant Dieu sait quel succulent plat, c'est râpé, raté, makash ! A force d'évoquer les années soixante du XXe siècle, ce reportage dérive de l'espace vers le temps, ce temps révolu où, sous le pouvoir de Boumediène, pourtant connu et reconnu comme dictateur devant l'éternel, pas mal de restaurants et cafés étaient ouverts sans complexe… touristique, aucun ! Et puis, quelle idée saugrenue de comparer un temps où le pays rêvait de progrès et de développement, même si c'était à marche forcée et cadencée, et un autre, l'actuel, submergé par les vagues médiévales que dénonçait déjà l'immense penseur et sociologue Mostefa Lacheraf ! Ah, mais… ! Voilà que nos yeux s'habituant à la pénombre, nous apercevons une demi-douzaine de personnes assises autour d'une grande table sur laquelle trônent deux plats à rouler le couscous pleins d'ingrédients nécessaires à la confection des boureks. Comme il n'était que onze heures, et voyant les hommes rouler et empiler les entremets ramadhanesques, nous pensons que c'est une préparation pour le repas de midi. Que nenni ! Les travailleurs nous détrompent tout de suite ; ils fabriquent des boureks pour les vendre en gros à des clients fidèles, histoire de ne pas rester inactifs pendant le mois de jeûne pendant lequel le restaurant est fermé. Direction Club des Pins pour un tour à l'hôtel Sheraton. En cours de route, la nature se fait verdoyante et, bien que n'atteignant pas l'ampleur de jadis, nous constatons que les terres longeant la côte sont relativement bien travaillées et dédiées aux cultures maraîchères. Cela fait un agréable effet au moral, car, comme beaucoup de terres arables, les jardinets du littoral sont restés pendant des années en friche. Mais comme à la Madrague, l'élément humain est rare et la circulation est des plus fluides, ce qui, en d'autres circonstances, aurait comblé de bonheur n'importe quel automobiliste, n'était cette impression somme toute angoissante d'un espace en déshérence, un peu comme dans ces films d'épouvante dont l'action commence dans de splendides et flamboyants panoramas. En fait, la source d'angoisse gît dans la contradiction entre la magnificence des paysages et du fond de l'air frais qu'on respire goulûment et la quasi-inexistence de l'être humain. Fouille classique du véhicule au poste de garde du Sheraton, puis l'agent de sécurité lève la barrière et nous débouchons sur l'harmonieuse et imposante masse de l'hôtel, serti comme un bijou dans la verdure des arbrisseaux et du gazon et les multiples couleurs des massifs de fleurs, toutes ces belles choses impeccablement ouvragées par, à n'en pas douter, un génial jardinier. Mais, pour qui veut jouir, ne serait-ce qu'une journée et une nuit de ce luxe étalé avant même d'accéder à l'établissement, il lui faudra, d'abord, s'assurer que son compte en banque est très bien fourni. Après la porte tournante, le hall de réception confirme cette volonté de luxe et de confort qui est le cachet propre de la chaîne hôtelière internationale dont fait partie le Sheraton du Club des Pins. Ambiance feutrée, comme il se doit, dans laquelle se déplacent clients, presque tous des étrangers, et personnel attentif au moindre désir de ses hôtes. Le bar est ouvert de même que le restaurant, mais les activités d'animation sont prévues après le f'tour, façon de signifier que le rythme local, baignant dans les mœurs ramadhanesques, est pris en ligne de compte. A part cela, pas de tarifs spéciaux pour la circonstance, l'hôtel fonctionnant comme durant les mois ordinaires. A Sidi Fredj, plus exactement à l'hôtel Riyad, on se retrouve en vraie planète algérienne, c'est-à-dire en plein vide sidéral, si l'on excepte le réceptionniste à la mine renfrognée, visiblement par insuffisance de sommeil, qui, pourtant, nous accueille avec beaucoup de bonne grâce. Rien de spécial n'est prévu pour l'Aïd dans cet établissement, propriété d'un ressortissant libanais. D'ailleurs, après la rupture du jeûne, les soirées sont animées par un artiste venu du lointain pays des Cèdres. Le Riyad a fait de réels efforts pour attirer une clientèle rare, en ce mois d'ascétisme, du moins durant la journée. Ainsi, le prix d'une chambre n'est que de 3600 DA la nuitée, s'hour compris, alors qu'il est de 8000 DA en temps normal. Même effort pour le f'tour, cédé à 1500 DA le repas sur un menu à 3 plats. Néanmoins, l'on devine que l'activité de l'hôtel traverse le creux le plus bas de l'année pendant cette période. Similaire ambiance à l'hôtel Mazafran, baptisé Safir, apparemment depuis qu'un investisseur koweïtien a acquis auprès de l'Etat algérien 49% des actions dans le capital de l'établissement. Rien de spécial n'est prévu pour l'Aïd, mais comme au Riyad, les prix durant le Ramadhan ont été largement revus à la baisse. Ce que le Safir a d'original, c'est qu'il prévoit des formules de demi-pensions, pensions complètes et semaines complètes, avec tarifs accommodants, jusque vers la fin de l'année. Même conclusion que pour le Riyad : en dépit de toutes les accommodations, le chiffre d'affaires n'a pas été astronomique ; c'est le moins que l'on puisse dire. Tout juste pour mémoire, quand on est arrivé au complexe 7 de Tipaza, on s'est trouvé nez à nez avec une barrière scellée sur laquelle était fixée une planchette en contreplaqué portant la mention : «Fermé jusqu'au 22 septembre». Et la côte est ? De Tipaza, nous prenons la route en direction de Boumerdès. Nous y sommes en fin d'après-midi et nous entrons à l'hôtel le Rocher, un établissement 4 étoiles appartenant à Zoubir Bousta, un militant de la cause nationale et moudjahid de la première heure. Nous sommes accueillis par le plus jeune de ses fils, Haouès Bousta, qui se prête avec affabilité à nos questions, pendant que notre photographe accomplit son métier. L'hôtel dispose de toutes les commodités auxquelles on s'attend dans un établissement de ce standing, tels que piscine, salle de conférences, salle des fêtes, parking, etc. Contrairement, à ceux de la côte ouest, l'hôtel le Rocher est en pleine activité et affiche complet. D'une part, parce qu'il a une clientèle extérieure fidèle, de l'autre, parce qu'il s'est spécialisé dans des relations contractuelles avec les entreprises, instituts et universités, et Boumerdès n'en manque pas. De ce fait, le Rocher a une activité de ruche qui ne s'est pas démentie même pendant le Ramadhan, ce qui l'a dispensé, en dehors de l'aménagement des horaires des repas, de tout programme spécial Ramadhan, que ce soit pour les prix ou pour toutes les autres activités.