Depuis qu'elle s'est remise à gagner, l'équipe d'Algérie de football est aujourd'hui sur les lèvres de tous les Algériens, qu'ils soient sportifs ou non. On a de l'équipe nationale partout, à la télévision, à la radio, dans les journaux, sur tous les panneaux publicitaires qui ornent les rues de nos villes. Une sélection qui vous met en fête tout un peuple, qui crée une ambiance du tonnerre et qui vous remplit les stades doit être traitée avec énormément d'égards. Surtout par ceux qui ont le souci d'être bien placés dans leur secteur de production. Avoir aujourd'hui cette équipe nationale comme support publicitaire est certainement l'outil de propagande le plus porteur en Algérie. Et la Fédération algérienne de football a compris l'opportunité qu'il y avait de se servir d'un tel «produit» pour fructifier son compte en banque. Du moins depuis que Mohamed Raouraoua est revenu à la tête de cette instance, en février dernier. L'homme est issu du secteur de la communication et de la culture. Il a été, au cours de sa carrière, à la tête de la première entreprise de publicité du pays, l'Anep. C'est lui qui avait, à titre d'information, mené l'opération de sponsoring de la CAN de 1990 qui s'était déroulée en Algérie. C'est dire que le marketing sportif, il en connaît un bout, d'autant qu'il passe pour avoir comme un de ses bons amis Jean-Claude Darmon, celui qui a «enrichi» l'équipe de France et la Fédération française de football par des actions plus qu'audacieuses. Ce n'est pas pour rien qu'à la fin de son premier mandat, M. Raouraoua avait affirmé qu'il était possible, à terme, avec un football et une équipe nationale performants, de s'autofinancer et de se passer des aides de l'Etat. On l'avait, malheureusement, poussé à se retirer, d'où une véritable cassure de trois ans au cours de laquelle la FAF avait «galéré» avec des subsides versés au compte-gouttes, la subvention de 2007 (d'un montant de 35 milliards de centimes) ne lui ayant même pas été octroyée. Pourtant, à ce moment-là, la FAF était engagée dans l'achat du terrain sur lequel était érigé son siège, un achat estimé à 22 milliards de nos centimes. Cette procédure est maintenant terminée et on peut dire que cette fédération est, désormais, en possession d'un véritable «trésor de guerre» avec un terrain dont la valeur est certainement à multiplier par 5 ou 6 par rapport à son coût d'origine. C'est sur un financement de la Fifa que la FAF va construire sur ce terrain son nouveau siège ainsi que les directions techniques. Des moyens revus à la hausse Pour ce qui est de l'équipe nationale, M. Raouraoua a largement contribué à la rendre plus attractive, même si ce sont les joueurs qui font le spectacle. Le président de la FAF savait, au départ, que s'il fallait espérer voir cette équipe se mettre à gagner, il fallait y mettre les moyens. En d'autres termes trouver les sources de financement capables de lui fournir des conditions de préparation de niveau professionnel. C'est ainsi que presque tout ce que demandait l'entraîneur national Rabah Saâdane (dont le salaire avoisinerait, selon des indiscrétions, les 160 millions de nos centimes par mois), lui était accordé, notamment les stages à l'étranger. Le professionnalisme permet aujourd'hui à l'entraîneur national d'aller n'importe où dans le monde pour superviser des adversaires, alors que dans un passé récent on se contentait d'attendre d'éventuelles informations et des cassettes vidéo provenant de nos représentations diplomatiques à l'étranger. Pour voir ses joueurs, Rabah Saâdane peut se déplacer à n'importe quel moment et en profite pour prendre de leurs nouvelles directement et non pas par téléphone. Les joueurs, quant à eux, n'étaient pas en reste. Eux aussi ont bénéficié de rallonges en matière de primes de stages, des primes qui on s'en souvient avaient failli faire imploser le groupe lors des éliminatoires de la CAN 2008 où il avait été même question de grève de leur part à la veille d'un match contre le Cap Vert (c'est d'ailleurs à la suite de cette mini crise que Malek Cherad avait quitté l'hôtel où séjournait l'équipe nationale pour ne plus revenir). Et pour ne pas ternir le tableau, les primes de matches ont été revues à la hausse, sachant que l'on ne peut motiver des joueurs qu'avec de la «parlotte» et l'entretien du sentiment patriotique. Le joueur a du talent et il demande à le monnayer. Le pactole du gouvernement Rien de plus naturel. Voilà pourquoi chacun des sélectionnés touchera la somme de 100 000 euros en cas de qualification à la Coupe du monde 2010, alors que pour la victoire contre la Zambie chacun d'eux a perçu 8000 euros. Le problème qui se posait, alors, était de trouver les sous pour financer toutes ces opérations. L'extraordinaire engouement suscité par l'équipe nationale, depuis qu'elle s'est remise à gagner, a contribué à le résoudre en partie, le reste étant tout naturellement à la charge de l'Etat. Du reste, la loi 04-10 sur le sport oblige ce dernier à financer les prises en charges des équipes nationales et à s'impliquer dans les rémunérations et gratifications en cas de succès. C'est ainsi que la dernière loi des finances complémentaire a fait bénéficier la FAF d'une rallonge budgétaire de 50 milliards de centimes pour mener à bien l'opération consistant à aider l'équipe nationale à se qualifier pour le Mondial sud-africain. Parallèlement à cela, la FAF, ou plutôt M. Raouraoua, a entrepris des démarches auprès des opérateurs publics et privés en vue de les associer à l'œuvre qui consiste à permettre au football algérien de se développer et de posséder une équipe nationale performante. Pour baliser le système consistant à vendre et à protéger l'image de marque de l'équipe nationale, la FAF s'est liée à la firme Media Algeria qui se présente comme un partenaire porté sur les conseils en marketing. Avant de percevoir la subvention complémentaire de l'Etat, la FAF s'était, déjà, associée à un partenaire de poids, l'opérateur de téléphonie mobile en Algérie, Nedjma, qui a consenti de lui verser 3,2 millions d'euros (32 milliards de nos centimes) sur une période de trois ans. Il supplantait, par la même occasion, son concurrent Djezzy, partenaire privilégié de l'équipe nationale ces dernières années et dont on dit qu'il versait, seulement, 100 000 euros par an à la FAF dans le cadre du partenariat qui le liait à elle. Malgré le venue de Nedjma, Djezzy reste sponsor de l'équipe nationale en vertu d'un contrat qui court jusqu'à janvier 2010 mais n'est plus sponsor officiel, autrement dit les joueurs ne portent plus son logo sur leurs tee-shirts et maillots lorsqu'ils s'adressent la presse. De même, l'image «équipe nationale» revient, en priorité, à Nedjma. A la suite de ce dernier, les sponsors ont défilé au point où aujourd'hui la FAF s'enorgueillit d'avoir une belle «brochette» de partenaires parmi lesquels Cevital (40 millions de dinars par an), Hyundai (dons de bus, de fourgons et de plusieurs véhicules de tourisme), Coca Cola (1,4 million d'euros sur trois ans) et le quotidien Echourouk (20 millions de dinars par an). La fédération est allée jusqu'à changer d'équipementier en optant pour la célébrissime firme allemande Puma qui a signé avec elle un contrat par lequel il s'engage à fournir 700 000 euros en équipements sportifs par an aux équipes nationales et 400 000 euros par an au titre de prime en 2010 et en 2011. En cas de qualification de l'équipe nationale en Coupe du monde en Afrique du Sud, cette prime se transforme en 520 000 euros par an sur une période de quatre années entre 2010 et 2014. Les joueurs font de belles affaires Le phénomène «équipe nationale» n'a pas manqué d'inciter d'autres opérateurs à s'impliquer dans la course aux «supports» publicitaires. Car si l'équipe nationale représente un produit appartenant à la FAF, il n'en est pas de même des joueurs qui, à titre individuel, peuvent monnayer leur nom et leur image de marque. Sauf que nous avons affaire là à des joueurs qui ne seraient, certainement, pas ce qu'ils sont aujourd'hui sans l'équipe nationale. Nous ne parlons pas de leur carrière professionnelle mais de leur participation avec le maillot de l'équipe nationale. L'effet de cette dernière a, inévitablement, rejailli sur tout le groupe. Bloqués quant à un partenariat direct avec cette sélection via la FAF, certains opérateurs ne se sont pas gênés pour signer des contrats, à titre individuel, avec des joueurs. Dans l'histoire, c'est l'opérateur de téléphonie mobile, Djezzy, qui avait raté l'affaire en or qu'il avait de devenir un partenaire privilégié de l'équipe nationale l'année où celle-ci pourrait disputer une Coupe du monde historique, qui a su se débrouiller pour avoir sous son label quatre cadres de l'équipe nationale qui sont Karim Ziani, Rafik Saïfi, Anther Yahia et Madjid Bougherra. Nous ne connaissons pas le montant alloué à chacun de ces joueurs, mais on croit savoir que celui de Ziani porterait sur 200 000 euros par an, soit le double que donnerait cet opérateur à la FAF. On pourrait considérer que Djezzy est venu empiéter sur le territoire de Nedjma, d'autant que les deux firmes sont dans la même d'activité. Apparemment, non si on en croit le responsable de Media Algeria, Ryad Aït Aoudia, qui estime que ce que vient de faire Djezzy «est légal puisque les joueurs sont libres de vendre, à titre individuel, leur image de marque. Ce qui leur est imposé, c'est de ne pas mettre des maillots ou des survêtements de l'équipe nationale lors des spots publicitaires qu'ils tournent ou des prises de photos». De son côté, le président de la FAF, M. Raouraoua, dément l'information selon laquelle il aurait eu une discussion orageuse avec les joueurs incriminés, notamment Ziani. «Je comprends que les joueurs veuillent bénéficier de l'aura de l'équipe nationale, nous a-t-il dit. Ils sont libres de se lier avec n'importe quel opérateur du moment que l'équipe nationale n'est pas prise en compte dans leurs campagnes publicitaires . Le problème est qu'il n'y a aucun dispositif qui pourrait les empêcher d'agir de la sorte. De toutes les manières, il n'est nullement dans notre intention de les priver de l'effet victorieux de l'équipe nationale. Ils sont en voie de qualifier celle-ci en Coupe du monde. Ils ont droit, pour cela, à bien des égards. Ce n'est pas la FAF qui viendra entraver leurs actions.» Nedjma s'offre six joueurs Cette démarche consistant à avoir sous contrat des joueurs a été saisie au vol par Nedjma. Mais d'une manière comme si elle avait été piégée, alors que c'est cette firme qui avait inauguré le système en ayant comme partenaire, il y a deux ans, celui qui passait pour être le meilleur joueur du monde : Zineddine Zidane. En dehors de l'accord le liant à la FAF en ce qui concerne l'équipe nationale, l'opérateur Nedjma s'est tourné vers six autres joueurs de l'équipe nationale que sont Rafik Djebbour, Abdelkader Ghezzal, Karim Matmour, Nadir Belhadj, Yazid Mansouri et Mourad Meghni. Il se dit que chacun d'eux percevra la somme de 60 000 euros par an. Il existe une différence de taille avec les joueurs sous contrat avec Djezzy : ceux liés à Nedjma pourront être pris en photo avec le maillot de l'équipe nationale, puisque cet opérateur peut exploiter l'image de celle-ci à des fins publicitaires. Mais il n'y a pas que les firmes de téléphonie mobile à être intéressées par ce filon. Une entreprise versée dans l'agroalimentaire, Bellat pour la citer, a frappé un grand coup en «embauchant» Anther Yahia lequel est le seul, de tous les sélectionnés, à avoir deux partenaires. Les émigrés mieux lotis que les locaux Parallèlement à cela, la FAF a cadenassé le système de manière à ce que le label «équipe nationale de football» soit bien protégé. Elle a, pour cela, mis en garde, depuis quelques semaines, tous ceux et celles qui seraient tentés de faire la promotion des produits qu'ils fabriquent et vendent en se servant de l'image de l'équipe nationale. Une entreprise privée de la région blidéenne a, déjà, été épinglée et a rendez-vous, dans les jours qui viennent, au tribunal. Il est possible que ce qu'elle aura à payer, au titre des dommages et intérêts, soit nettement supérieur à ce qu'elle a gagné en se servant, sans autorisation, du label en question. Une chose saute aux yeux : la différence entre ce que fait la FAF et les clubs en matière de recherche de sources de financement autres que celles de l'Etat. C'est la nuit et le jour. Il faut dire que l'une agit en professionnelle, alors que les autres se contentent de bricoler avec la médiocrité qu'ils proposent. On remarquera, d'ailleurs, que le seul titulaire de l'équipe nationale à n'avoir pas son propre sponsor est Lounès Gaouaoui, le gardien qui se trouve être un joueur du championnat national. Il mérite, certainement, un peu plus d'attention, mais il paie pour la faible qualité de la compétition dans laquelle il évolue. Avec lui, les Raho, Achiou ou Babouche sont les perdants d'un gros pactole. Mais il est vrai qu'en cas de qualification au Mondial, il y a les 100 000 euros par joueur qui se profilent et il s'agit là, déjà, d'une somme des plus juteuses. Un téléviseur en guise de prime En tout cas, tous ces chiffres sont sans commune mesure avec ce qui se faisait il y a une vingtaine d'années. Interrogé sur ce que ses camarades et lui avaient perçu pour avoir qualifié l'équipe nationale à la Coupe du monde de 1982, Ali Fergani, qui en était le capitaine, avoue ne pas se souvenir. «C'est tellement loin, nous a-t-il dit. Je crois que chacun de nous avait eu un bon de la Sonacome pour avoir un véhicule neuf, payé par nos soins mais je n'en suis pas sûr.» S'il ne se rappelle pas de la prime de qualification, c'est qu'elle ne devait vraiment pas être extraordinaire. L'ex-international ajoute : «Une fois, pour je ne sais quelle grande victoire, on nous avait donné à choisir entre un téléviseur et un réfrigérateur. Et puis quand nous avions gagné au Maroc par 5 buts à 1 en 1979, nous avions eu droit à une petite réception et à la remise d'une médaille pour chacun de nous.» Entre la pluie d'euros qui tombe sur les internationaux d'aujourd'hui et les dérisoires gratifications qu'avaient obtenues les grands joueurs qu'étaient les Madjer, Belloumi, Assad, Merzekane ou Fergani, il n'y a pas photo. Le monde du football a évolué, et actuellement, chez nous, dans notre championnat local, un joueur même pas capable d'effectuer un contrôle orienté se permet de monnayer son contrat pour des millions de dinars. De son côté, la Fédération algérienne de football tire un très gros avantage de ces sommes faramineuses. Elle s'en sert pour la prise en charge de toutes les équipes nationales et de ses académies du football, pour la formation des arbitres et des techniciens, pour aider toutes les ligues, en somme pour développer la discipline, un travail essentiel pour toute fédération sportive.