L'on ne parlera jamais assez des difficultés vécues par les insuffisants rénaux dans notre pays, ni des conditions de prise en charge qui leur sont réservées. Les associations commencent à se lasser des promesses des autorités concernées mais ne baissent en aucun cas les bras. Sachant que le nombre d'hémodialyses est passé de 7 864 en 2006 pour atteindre 13 000 en 2008, et considérant que cette maladie n'est pas toujours reconnue et considérée comme telle en Algérie, le président de la fédération en question, Mustapha Boukheloua, a souligné le manque de prise en charge des patients par les services concernés, engendré par la méconnaissance des mécanismes complexes inhérents à ce traitement, sans parler du manque de prévention et de l'insuffisance du personnel médical. M. Boukheloua nous a déclaré, en effet, que 4000 nouveaux cas d'insuffisance rénale sont enregistrés annuellement sur le territoire national, précisant par ailleurs que la situation est stationnaire. Pis encore, aucune promesse du ministère n'a été tenue jusque-là, entre autres, la formation de personnel qualifié pour placer «la fistule artério-veineuse» (FAV) pratiquée généralement sur le bras, alors que cette proposition remonte à une année. La situation est encore plus alarmante quand on sait que seuls 16 postes d'hémodialyse sont installés dans «un nid à infection» qui sert de service d'hémodialyse au CHU Mustapha Bacha. Un tour dans ce service nous a révélé la triste réalité à laquelle sont confrontés les hémodialysés. Ces derniers se présentent trois fois par semaine pour une séance qui dure quatre heures. Il est déjà dur de supporter une telle épreuve dans une institution sanitaire où les règles d'hygiène et de prise en charge sont respectées. Qu'en disent alors nos malades qui vivent leur maladie dans des conditions lamentables ? Pourtant, une surveillante médicale n'avait pas l'air de s'en rendre compte et se contente d'estimer que les choses se sont améliorées depuis quelque temps. «Tout est javellisé trois fois par semaine», nous a-t-elle déclaré «fièrement», ajoutant que le seul problème réside dans l'état vétuste des générateurs de dialyse qui ne va pas tarder à être résolu. Mais est-ce suffisant? «Tout est relatif», nous dira cependant un responsable de maintenance faisant partie du même service. «Il y a de quoi avoir peur pour nos malades, quand on sait que le générateur de dialyse dont dispose le service date de dix ans, alors qu'il doit être renouvelé selon les normes tous les cinq ans, sept au maximum», s'est scandalisé notre interlocuteur, mettant l'accent également sur le non-respect de la désinfection des machines. Il précise que certains membres du personnel font stopper plus tôt le programme de désinfection journalière. «Ils la programme pour une demi-heure au lieu d'une heure», précise-t-il, ce qui favorise les contaminations entre hémodialysés. «Comment expliquez-vous sinon que presque tous les malades dans ce service sont atteints d'hépatite C ?» Même la désinfection de l'appareil entre deux séances dont la durée est d'une demi-heure ne se fait pas convenablement, selon notre source. S'ajoute à cela le manque de matériel médical. Un patient attend trois mois et plus pour la pose d'un cathéter, cet accessoire de dialyse qui est censé «dépanner en urgence» pour un mois uniquement, en attendant la fistule. D'où le recours des malades aux services privés, parfois recommandé par le personnel du secteur sanitaire public, afin d'éviter des souffrances à l'insuffisant rénal et… éviter l'irréparable. Qu'en est-il des centres privés ? Les centres d'hémodialyse et les cliniques privées proposent à l'insuffisant rénal des séances de dialyse financées par la CNAS au prix de 6000 DA. C'est en tout cas ce que nous a révélé un néphrologue exerçant dans l'un de ces centres, situé à Chéraga, dont le cadre n'a rien à voir avec celui du CHU Mustapha, de par l'hygiène, la modernité du matériel, sans parler de la prise en charge des patients. Une petite virée dans ce centre ainsi que celui de Belcourt nous ont laissés perplexes quant à la différence flagrante entre les deux secteurs. Pourtant, le président de la Fédération des insuffisants rénaux, M. Boukheloua, ne s'est pas montré très optimiste quant à la prise en charge financière des hémodialysés, expliquant que la CNAS finance uniquement la séance de dialyse. La fistule dont le prix varie entre 10 000 et 25 000 et le cathéter dont le prix tourne autour des 8000 Da ne sont nullement financés par l'état. La cellule de conventionnement de la CNAS s'occupant des maladies chroniques devrait, selon lui, prendre plus au sérieux cette maladie. Les enfants ne sont pas forcément plus nombreux à être touchés par la maladie Contrairement à ce qu'a déclaré le Pr Mustapha Benabadji, chef du service néphrologie au CHU Mustapha Pacha, qui a estimé que les enfants sont plus nombreux à être dialysés, toutes les personnes rencontrées jusque-là estiment qu'il n'en est rien. Infirmiers, médecins et malades se sont rejoints dans l'idée que l'on voit défiler dans les institutions sanitaires beaucoup plus de personnes âgées de plus de 60 ans. «Où sont les enfants ?», nous a déclaré un membre du personnel du service spécialisé de l'hôpital Mustapha, nous montrant la salle de séance. Idem pour le secteur privé, où nous avons vérifié ces dires. Il n'y avait pas un seul enfant dans les deux cliniques que nous avons visitées. Karima Si Ramdhane, une hémodialysée, témoigne A 27 ans, Karima se trouve presque handicapée par cette maladie qui lui prend tout son temps, son énergie et sa jeunesse. Souffrant d'insuffisance rénale depuis 19 ans, elle passe 12 heures «sous la machine». Pis encore. Elle fait sa séance à domicile. Dans un appartement de deux petites pièces situé à Bachdjarrah qu'elle partage avec 11 membres de sa famille, Karima se prend en charge depuis deux ans. Souffrant de problèmes vasculaires, l'hôpital l'a «renvoyée» chez elle faute de moyens, ou de … conscience. Elle a souffert à maintes reprises d'infections et de complications, car ce genre de séance devrait tout simplement se faire en milieu hospitalier où les conditions sanitaires sont réunies, à savoir la température, l'hygiène, le matériel… etc. Cette jeune fille au cœur meurtri n'ose plus rêver de guérir. Elle rêve tout simplement de faire des séances dans un cadre sanitaire approprié. «J'ai peur de l'avenir», dit-elle avec amertume.