La chronologie du terrorisme international n'en finit pas de s'allonger. Entre une manifestation sanglante et le démantèlement d'une cellule quelque part dans le monde, les partisans de la terreur font encore parler d'eux. Soumis à une pression de plus en plus forte des services de sécurité, acculés dans des retranchements de plus en plus réduits, ils s'efforcent d'y faire face par différents procédés opérationnels. Dernier artifice en date, le recours aux bombes «in vitro» pour reprendre une formule imagée de la révolution médicale de la fin du XXe siècle. Après l'ère des corps piégés et de la «ceinture explosive», voici le temps de la «bombe suppositoire». Un engin administré dans le corps «par voix orale», comme dirait la littérature pharmaceutique et «mis en feu» au moyen d'un téléphone mobile. Conçu, il n'y pas si longtemps, dans les «laboratoires» de la mouvance terroriste, le «suppositoire explosif» aurait été déjà testé à l'épreuve du terrain. C'était le 28 août dernier dans l'attentat qui avait ciblé le prince Mohammed ben Nayef ben Abdel Aziz, le monsieur «antiterrorisme» du royaume. Annoncé et confirmé officiellement, le même jour, par Ryadh, l'attentat a été exécuté, pour la première fois, au moyen d'une bombe «in vitro». Publiée, hier, dans les colonnes du quotidien parisien Le Figaro, une note du renseignement français lève un coin du voile sur cette affaire. Alerte policière Frappée du sceau du «secret», la note a été élaborée de fraîche date par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), l'organe de renseignement né en 2008 de la fusion de la DST (contre-espionnage) et des Renseignements généraux. La note va bien au-delà du récit officiel des autorités saoudiennes. A en croire ce document, l'opération dont un des palais du royaume wahhabite a été le théâtre le 28 août dernier diffère, à bien des égards, des coups antérieurs. Morceau choisi de la note de la DCRI paraphrasée par Le Figaro : ce jour-là, «Abul Khair, un islamiste recherché, se présente au palais du prince Mohammed bin Nayef (…) C'est l'heure de la traditionnelle réception organisée pour la rupture du jeûne. L'homme vient se rendre et implorer la clémence du prince, dit-il. Mais à peine le maître des lieux s'approche-t-il que le terroriste manipule un téléphone mobile. Une explosion retentit. Par miracle, Mohammed bin Nayef s'en sort avec quelques égratignures. Son visiteur, quant à lui, est éparpillé dans la pièce en soixante-dix morceaux. Il s'est fait sauter avec sa bombe». Derrière le nom de «djahid» d'Abul Khair - ou Abou al Kheir selon les nombreuses transcriptions qui fleurissent sur le web - se profile Abdallah Hassan Taleh Assiri. L'homme, dont la note de la DCRI ne brosse pas le livret «djihadiste», figurait sur une liste saoudienne de 85 personnes les plus recherchées d'Al Qaïda. Inédit dans le registre terroriste, cet attentat a été jugé suffisamment inquiétant par les spécialistes français du renseignement pour motiver un processus d'alerte. L'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), une structure placée auprès du patron de Police, tient une réunion d'urgence. Et la DCRI juge important d'adresser la «note secrète» au ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux. Abul Khair n'a pas utilisé un explosif attaché à sa ceinture pour atteindre sa cible, technique classique chez les kamikazes. Il portait sa bombe à l'intérieur du corps. C'est une première, soulignent les analystes du renseignement français cités par Le Figaro. «Un explosif ingéré en somme, ou plutôt introduit comme un suppositoire. Autant dire indétectable. Le kamikaze n'avait plus qu'à le déclencher grâce à son téléphone mobile que les cerbères du palais n'ont pas eu la présence d'esprit de lui retirer», précise un haut fonctionnaire du ministère français de l'Intérieur. Des rayons X aux aéroports ? Cette «nouveauté» dans le registre des explosifs n'est pas sans poser un casse-tête aux professionnels du renseignement. L' «explosif suppositoire» résonne comme un nouveau défi sécuritaire. Il impose aux structures chargées de la sécurité et de la sûreté - en particulier dans les aéroports - de revoir leur dispositif. Sans détours, les milieux français du renseignement avouent être confrontés à une nouvelle donne. En atteste la réaction recueillie par Le Figaro auprès d'un officier de policier familier du risque terroriste. «Nos plateformes aériennes sont équipées de détecteurs de métaux, mais dans le cas du kamikaze saoudien, seul un contrôle aux rayons X aurait permis de détecter l'explosif, comme on repère les capsules de drogue dans le ventre des passeurs». Comparé à celui des portiques détecteurs de métaux, le contrôle aux rayons X est une procédure plus lourde. Tant en termes de temps de contrôle que des moyens mobilisés. «On imagine mal devoir faire passer des millions de passagers à la radio avant de monter à bord», explique l'officier de police. «Les dispositifs à mettre en place pour sécuriser les vols seraient extrêmement coûteux, à supposer que des appareils soient en mesure de gérer un tel flux», ajoute un officier de la Police aux frontières. La question sur la parade la plus idoine à la «bombe suppositoire» est loin d'être tranchée par les spécialistes. Au ministère de l'Intérieur, l'option des rayons X n'emporte pas -du moins pour l'heure- les faveurs des décideurs. «Il est tout simplement impensable de généraliser le rayon X aux contrôles d'accès, lorsque l'on sait la fréquence des vols effectués par certains passagers. Les risques sanitaires que ferait peser un excès d'exposition aux radiations seraient trop grands», répond, en guise d'argument, un membre du cabinet de Brice Hortefeux. Interrogé par le journal parisien, un spécialiste de la police scientifique et technique a un début de réponse. Il préconise d' «agir non pas sur le récepteur, c'est-à-dire l'explosif et son système de détonateur, mais sur l'émetteur». Concrètement, la parade passe par le ciblage du téléphone «qui a envoyé par radiofréquence le signal de l'explosion». Entre fonctionnaires de l'Intérieur, experts du renseignement et spécialistes de la police scientifique, le débat ne fait que commencer. Et la parade efficace au «suppositoire explosif» est loin d'être trouvée.