Plusieurs établissements bancaires de la place d'Alger se préparent à lancer des produits de la finance islamique. Entre autres, il s'agit du Crédit populaire d'Algérie (CPA), de la Trust Bank, de Housing Bank et de Société Générale Algérie. Selon le directeur central d'Al Baraka Bank, Nacer Hideur, s'exprimant hier lors d'un séminaire organisé à Alger, un gisement important existe, des détenteurs de ressources financières qui ne veulent pas placer leur argent dans les banques fonctionnant selon le modèle classique de taux d'intérêt, une pratique interdite par le Coran. En revanche, les pouvoirs publics sont sollicités par les experts à lever des contraintes majeures se dressant devant la finance islamique, à savoir l'encadrement juridique qui n'autorise pas cette pratique (l'ordonnance sur le crédit et la monnaie amendée en 2003 après le syndrome Khalifa Bank) et le système fiscal peu encourageant (les opérations de la finance islamique sont doublement taxées, en raison des transferts de propriété). A l'initiative d'une société française, Isla Invest Consulting, gérée par un cadre d'origine tunisienne, Zoubir Ben Terdeyet, et d'Al Baraka Bank, une rencontre a été organisée hier à Alger pour faire un état des lieux de la finance islamique en Algérie et dans le monde. Une occasion idoine pour inciter les autorités monétaires algériennes à lever les contraintes citées, notamment l'encadrement juridique, qui ne permet pas de lancer des produits respectant les principes de la charia, et le système fiscal décourageant. En effet, la loi sur la monnaie et le crédit n'a pas prévu de textes sur la finance islamique, se basant plutôt sur les finances conventionnelles occidentales, ce qui a constitué un véritable frein pour le développement et l'essor de cette activité, et même «une certaine confusion chez les Algériens, toujours méfiants du secteur bancaire en raison de la pratique de l'usure (riba)», pour reprendre l'explication du directeur central d'Al Baraka. Le gisement d'argent circulant en dehors de la sphère financière n'est pas encore estimé, selon la même source, mais il demeure «très important», ajoute-t-elle, «peut-être plus que la somme de 5000 milliards de dinars évaluée comme ressource par la Banque d'Algérie». Pour capter cet argent, les banques de la place d'Alger, à l'instar du Crédit populaire d'Algérie (CPA), Société Générale Algérie, Housing Bank et Trust Bank, se préparent d'ores et déjà avec en appoint des formations au profit du personnel, qui était jusque-là habitué à intervenir sur les services bancaires classiques dit également universels. Certaines de ces entités ont dû solliciter l'expertise d'Al Baraka Bank afin de mettre en place des services dédiés à la finance islamique. Le CPA, par la voix de la directrice centrale chargée du marketing et de la communication, Samia Hassam, a lancé «une réflexion» autour d'un projet bancaire s'inspirant des principes de la charia. Sur ce point, le responsable d'Al Baraka est plus précis : «Le CPA veut carrément créer un département spécialisé dans la finance islamique, dans le but d'éviter toute confusion et mauvaise interprétation. Son objectif est de collecter une ressource qui sera rémunérée selon les principes du Coran avec des services crédibles.» La croissance réalisée par Al Baraka Bank depuis ces trois dernières années conforte à plus d'un titre les choix envisagés par les banques de la place. Il s'agit d'une évolution comparable à celle des banques publiques, qui détiennent, en dépit de la libéralisation du secteur, 92% parts de marché. Cette croissance a été de 30% de l'année 2007 à 2008. La moitié du portefeuille de la banque islamique est constitué de ménages, ce qui est illustratif du rôle d'un établissement de cette nature dans la société algérienne. S'agissant de sa part dans le secteur privé, Al Baraka détient 15% du marché. En dépit du contexte réglementaire et fiscal peu enviable, cette banque parvient à s'imposer. «Sans la souplesse et la volonté de la Banque d'Algérie, nous ne serions pas en mesure de nous développer. Nous avons dû placer nos ressources sans demander les intérêts, et en contrepartie nous levons des financements sans payer de taux d'intérêt. Les débuts étaient vraiment difficiles. Les acteurs économiques étaient sceptiques et méfiants de cette expérience. Mais grâce à la persévérance, nous avons pu développer notre portefeuille», a tenu à souligner Nacer Hideur. Au sein de l'association des banques et établissements financiers, ces problèmes ont été déjà abordés, mais la décision relève des autorités monétaires, notamment le ministère des Finances et la Banque d'Algérie qui devraient agir afin de permettre l'éclosion de ce système en vogue aujourd'hui en Grande-Bretagne, en Allemagne et chez le pays voisin, la Tunisie. Les réformes à opérer Un chemin à arpenter à condition que l'Etat se penche sur les propositions formulées hier par les experts en la matière. La révision de l'ordonnance sur la monnaie et le crédit est une action incontournable, afin d'intégrer les notions de la finance islamique. De même, il est recommandé la création d'une autre catégorie d'institutions, dites commerciales et d'investissement, sachant que la loi en la matière a autorisé jusque-là la création de banques et des établissements financiers. Pour l'émission de sukuk (ces produits sont assimilés aux obligations dans les finances classiques, mais sont adossés à des actifs réels), un texte réglementaire s'impose, insistent-ils. L'expert financier Lachemi Siagh, auteur de L'islam et le monde des affaires, a estimé que «les banques islamiques sont devenues une réalité que personne ne peut nier» et d'ajouter que «l'avènement de la finance islamique peut être considéré comme une tentative de repenser les pratiques financières du marché capitaliste».