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Quand la mafia prend le marché en otage
Publié dans Le Temps d'Algérie le 25 - 11 - 2009

Les matériaux de construction très demandés par les Algériens connaissent depuis quelque temps une crise patente, essentiellement le ciment vendu sur le marché parallèle trois fois son prix sortie d'usine.
Partout en Algérie, on assiste à un véritable boom des prix, atteignant les 600 DA le sac de 50 kg, voire plus de 1000 DA dans des régions où tout particulièrement le bâtiment connaît une nette évolution. Les quantités fournies par les différentes cimenteries réparties sur le territoire national sont toujours loin de satisfaire la demande d'une clientèle qui se plaint à longueur de journée de la pénurie et de la tarification appliquée par les barons de ce matériau très indispensable.
Notamment les opérateurs du bâtiment, les promoteurs immobiliers et les autoconstructeurs, lesquels en majorité se retrouvent dans ces conditions forcés de s'approvisionner du marché parallèle pour éviter que leurs travaux ne soient retardés ou interrompus. Interrogés sur les causes de la hausse vertigineuse des prix du sac de ciment, B. Gagui et S. Saker,
deux entrepreneurs de Biskra activant dans le secteur des grands travaux de construction, pointent du doigt le réseau des spéculateurs qui, selon nos interlocuteurs, active en toute liberté au vu et au su de tout un chacun et qui bénéficie aussi de la protection de certains de l'administration. Est-il donc évident que c'est la chaîne de la mafia des matériaux de construction qui définit le prix comme bon lui semble.
La spéculation bat son plein
Des spéculateurs dont l'activité tend à s'élargir sont nettement à l'origine de la crise que le marché connaît, leur action influe ainsi sur l'état d'avancement de nombreux projets en cours de réalisation, dont un million de logements.
Il en est de même aussi pour de nombreuses régions du pays où des entrepreneurs ont tenu à souligner que de nombreux opportunistes règnent en maîtres sur le marché du ciment. Ils s'acquièrent cette marchandise des unités productrices et même des dépôts pour l'écouler illicitement dans les points de vente montés un peu partout, loin des yeux des agents de lutte contre l'informel.
«Ces spéculateurs sont bien nombreux, personne ne les connaît du fait de leur vaste réseau. Ils agissent de connivence avec certains travailleurs des cimenteries et des dépôts qui leur facilitent l'achat de quantités démesurées, destinées au stockage pour une durée déterminée pour être enfin revendues à des prix abusifs», ont-ils tenu à affirmer.
Et d'ajouter, certains commerçants n'écartent pas deux autres facteurs non moins importants qui ont conduit à cet état de fait, «ce sont bien les pannes répétitives signalées d'un moment à l'autre au niveau de certaines cimenteries et les opérations d'entretien effectuées dans les usines de matériaux de construction, ce qui naturellement influe sur la disponibilité de cette matière en quantités suffisantes, d'autant que cela chamboule d'une manière ou d'une autre le programme de distribution élaboré par les gérants des dépôts», expliquent-ils.
Les détaillants pointés du doigt
La totalité de nos interlocuteurs s'accordent à dire : «Le ciment est disponible en quantités suffisantes, ce sont plutôt les prix affichés par les détaillants qui constituent l'inquiétude majeure.» Des prix qui dépassent largement ceux de la grille tarifaire appliquée par les unités productrices.
Contacté par nos soins, un promoteur immobilier d'une grande ville de l'est s'interroge : «Comment se fait-il que le ciment connaisse une telle pénurie ou soit revendu à 1000 DA le sac en Algérie ? Il y a quelques semaines, pas moins de 150 poids lourds ont quitté le port de Annaba avec à leur bord des quantités énormes de ce matériau de construction destinées à inonder le marché.»
Il n'en demeure pas moins que la disponibilité du ciment ainsi que sa revente à des prix raisonnables constituent la préoccupation d'une large partie d'Algériens. Dans ce contexte, un citoyen se demande : «Où est passé le million de tonnes de ciment dont on parle ? Pourquoi l'Etat n'a toujours rien fait pour apaiser un tant soit peu cette crise fabriquée par les barons des matériaux de construction ?
Quand est-ce que le marché connaîtra-t-il sa régulation ?» Autant de questions à se poser encore. Pour mieux s'enquérir du problème, nous avons sollicité le ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme à se prononcer sur le sujet.
Au département de Noureddine Moussa on nous a déclaré que «le ministère veille à ce que le ciment soit disponible au niveau des points de vente publics, il n'est en aucun cas responsable de la revente à des prix vertigineux sur le marché parallèle.
Il appartient donc à d'autres institutions de jouer leur rôle. Il faut savoir aussi que ce phénomène influe négativement sur l'achèvement des projets initiés par l'Etat dans le cadre du programme quinquennal, des projets qui connaissent un retard dans les délais de livraison».
Mécontentement chez les autoconstructeurs
Du côté des autoconstructeurs, notamment ceux ayant bénéficié de l'aide de l'Etat dans le cadre du programme de construction des logements ruraux, un programme destiné principalement aux citoyens à revenu limité, ces derniers affichent clairement leur mécontentement vis-à-vis de l'inflation des prix appliqués par les revendeurs et appellent unanimement à une lutte sans merci contre ces contrevenants.
A ce titre, rencontré à proximité de sa bâtisse encore en voie de construction depuis 2005, M. S., dénonçant la mauvaise foi des spéculateurs, nous dira : «Depuis 2005, j'ai bénéficié de l'aide de l'Etat pour construire un petit logement pour mes enfants, je ne l'ai pas encore achevé pour la simple raison que les moyens financiers dont je dispose ne me permettent pas de l'achever, je ne peux pas non plus acheter du ciment à 800 DA le sac.
L'Etat ne peut-il pas mandater des brigades de lutte contre le commerce informel fixant des prix irréels ? Il faut qu'une opération de traque soit instaurée à l'issue de laquelle les commerçants informels seront sanctionnés.
A moins que cela ne soit voulu», commente-t-il. Face au phénomène de la spéculation, des cadres de l'unité de production de ciment de Aïn Touta, dans la wilaya de Batna, d'autres de la zone industrielle de Biskra et certains de l'OPGI privilégient la multiplication des réseaux de distribution agréés par l'Etat ainsi que l'encouragement
de l'investissement dans le secteur de la cimenterie pour éradiquer de façon définitive le phénomène de la spéculation qui fait son apparition à chaque fois qu'un programme de construction est lancé par le gouvernement. Notons que la plus grande partie de la clientèle qui est plus touchée par cette crise qui ne dit pas son nom est la catégorie des autoconstructeurs qui se plaignent quotidiennement de la hausse inexpliquée des prix des matériaux de construction.
Cette frange sociale, composée en majorité de fonctionnaires, n'est pas en mesure, selon les décrets régissant la distribution et le commerce des matériaux de construction, d'être livrée par les cimenteries publiques, et se rabat malgré elle sur les points de revente peu importe le prix, ce qui compte le plus c'est d'achever la construction familiale.
Il convient de rappeler que selon des statistiques le pays produit à titre annuel quelque sept millions de tonnes de ciment, une quantité bien que faramineuse ne couvre point les besoins du marché national estimés à pas moins de 18 millions de tonnes.
Un déficit de 1 million de tonnes serait enregistré en 2010
A en croire les analyses de certains observateurs, un déficit d'un million de tonnes sera aussi enregistré en 2010 où le gouvernement se tournera encore une fois vers l'importation pour pallier le manque qui sera engendré aussi par les barons du ciment qui ont touché le pactole et continuent à dicter leur loi.
Ils ne sont toujours pas difficiles à repérer, ils peuvent très facilement être débusqués pour peu qu'il y ait une vraie volonté de purifier le marché de la spéculation qui a pris le marché en otage. Pour conclure, tout le monde s'accorde à dire que le marché du ciment dans les quatre coins du pays connaît des irrégularités qui ont fait que les prix prennent une courbe ascendante, d'autant plus que dans certaines régions une pénurie palpable de cette matière indispensable à la construction est enregistrée.
Autre réalité, la production de ce matériau n'a jamais connu une réduction de quelque nature quelle soit, c'est du moins ce qu'a précisé le SGP. Bien au contraire, en 2009, la production a connu une nette évolution par rapport à l'année 2008. Les 12 cimenteries publiques que compte le pays ont, depuis le début de l'année en cours, multiplié leur production et que les prix étaient toujours
les mêmes que ceux appliqués en 2007, ce qui nous permet de confirmer que cette augmentation n'est autre que le résultat d'une spéculation aveugle. Donc, cette crise connaîtra-t-elle un éventuel dénouement dans les jours, les semaines ou les mois à venir ? Toutes les analyses tendent vers oui, surtout quand on sait que les services chargés de la traque des contrevenants ont déjà mis en place un dispositif ad hoc pouvant mettre fin à leurs pratiques indélicates.


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