En attendant la réalisation du nouvel abattoir à Birtouta qui, selon les multiples annonces, serait doté de toutes les commodités, l'abattoir d'Alger demeure un des endroits les plus convoités, notamment en cette période de fête de l'Aïd El Adha. Cinq jours durant, des files de voitures se sont constituées sur le boulevard menant au pont des Fusillés (ex-Lafarge). Cinq jours avant la date du sacrifice, une agitation particulière marquait les lieux. En effet, les acheteurs potentiels, les bouchers offrant leurs services, les rémouleurs, les revendeurs à l'étalage de divers ustensiles ainsi que les gardiens de parking étaient en grand nombre à l'entrée de l'abattoir, plongé, dès les premières heures, dans un nuage de fumée produit par les rôtisseries adjacentes. Durant les cinq jours avant l'Aïd, l'abattoir d'Alger, le plus important d'Afrique, (il a été inauguré le 1er février 1929) est devenu le lieu de prédilection aussi bien pour les acheteurs de viande ou de moutons que pour les éleveurs et les chevillards. Devant le grand nombre de moutons qui débarquaient quotidiennement et destinés à l'abattage, la mission des vétérinaires n'était pas de tout repos. Le contrôle sanitaire de tout le cheptel à abattre constituait, effectivement, une tache des plus ardues. A l'intérieur de cette enceinte, il y avait une foule de personnes et la circulation des véhicules accentuait l'image d'une infrastructure saturée. Tous les jours que Dieu fait, de longues files de voitures se constituaient devant le seul accès de cet abattoir. Des camions transportant des centaines d'ovins, qui s'y joignaient, compliquaient la tache des policiers en faction. Situé à la rue des Fusillés, à quelques encablures du cœur de la capitale, l'abattoir du Ruisseau, beaucoup plus connu sous ce nom, s'étend sur 24 000 m2 avec une capacité totale de 480 bovins et plus de 5000 ovins par jour. La vétusté de certains équipements d'astreinte est flagrante et les employés désespèrent d'évoluer au sein de la nouvelle infrastructure dont le projet ne fait que tarder. Le site renferme 3 salles d'abattage de 3250 m2, des écuries aménagées de 3764 m2, d'une capacité de 300 bovins et de 6000 ovins, un ensemble frigorifique, constitué d'un rez-de-chaussée et d'un étage de 1068 m2 avec un volume de 4127 m3 et d'une contenance de 350 tonnes de viande rouge. Des ateliers (28) et un hangar (vente de cuir), destinés aux multiples fonctions inhérentes (désossage et transformation, boyauderie, lavage des panses etc.) offrent un piteux aspect. Hormis les potentiels acquéreurs de moutons ou des quartiers de viande, l'abattoir d'Alger continue d'être un endroit de prédilection pour les centaines de maquignons, de bergers, de tueurs, de chevillards, formant le «petit monde» du circuit privé de l'abattage. Un monde où l'argent constitue le dénominateur commun. C'est également un endroit dont profite la chaîne de petits restaurants proposant de la viande et du foie, voire des abats achetés au rabais auprès des chevillards ou des bouchers. Des restaurants qui tendent à disparaître à la faveur du projet du tramway d'Alger dont les travaux entament le dernier cycle. Les vétérinaires, cheville ouvrière dans le monde des chevillards Sur les lieux de cet abattoir, le contrôle sanitaire est rigoureux. Bien que secoué de multiples fois par les débrayages des vétérinaires de la Fonction publique, le contrôle assuré par les équipes permanentes de la direction de la santé est quasi quotidien. Des visites anté-mortem et post-mortem sont effectués par les vétérinaires qui estampillent les bêtes consommables qui, antérieurement, étaient soumises à une diète de 12 heures. Ces derniers sont également chargés du contrôle des viandes devant être commercialisées en temps normal (viande foraine) par les boucheries. De visu, les vétérinaires exercent dans des conditions quelque peu inconfortables. En effet, ces derniers avaient invité les pouvoirs publics à améliorer leurs conditions de travail, notamment en les dotant de nouveaux équipements. Le poids de la viande et la cherté des abats La mercuriale n'a pas connu de changement notable durant les jours précédant la fête. La viande est vendue à 750 DA le kilogramme. Sur les espaces de commercialisation situés à l'intérieur de l'abattoir, des centaines de moutons sont accrochés aux esses. Ils sont exposés aux regards des potentiels acheteurs venus acquérir des quartiers de viande auprès de la nuée de chevillards en blouse. Ces derniers sont accrédités par l'établissement. Aux abords de cet espace, des abats sont proposés également mais à des prix qui s'envolaient au fur et à mesure que le jour J arrivait. Cinq jours avant l'Aïd, les abats composés du foie, de la rate, des poumons mais également des tripes, vendus séparément, sont proposés à la «la vente par des intermédiaires et ça rapporte énormément d'argent», nous explique un chevillard qui ne partage pas la spéculation à laquelle s'adonnent ces intermédiaires qui bénéficient de la complaisance des chevillards. «Ces abats qui étaient proposés à 2000 DA, il y a quelques jours, sont vendus à 5000 et 6000 DA la veille de l'Aïd», lance une vieille femme excédée et révoltée par le dictat imposé aux clients par ces intermédiaires. Bien que ces prix soient inaccessibles, les abats étaient très demandés en cette veille de l'Aïd. Vers 13h, les brouettes utilisées par ces intermédiaires étaient vides et rangées aux abords de cet espace commercial. A cette heure, les abattages étant terminés, certains bouchers offraient leurs services aux clients et se lavaient les mains à l'aide du liquide contenu dans la vésicule biliaire appelée communément «champagne». «C'est un excellent dégraissant», nous explique un des bouchers. Un peu plus loin, à proximité des écuries, des propriétaires draguaient les quelques acheteurs en quête d'une affaire. Vers 16h, à la veille de l'Aïd, ces derniers étaient dans l'obligation de revoir les prix à la baisse. C'est ainsi que les moutons dont les prix avaient atteint les 40 000 ou 45 000 DA, ont été cédés à des prix variant entre 17 000 et 22 000 DA. Ce n'est que vers 17h que cette enceinte commençait à se vider progressivement, permettant au personnel, aux chevillards et aux éleveurs de regagner leurs villes et régions respectives. Il est utile de rappeler que l'abattoir d'Alger qui, selon la réglementation en vigueur, perçoit 5 dinars sur chaque bête abattue sur les lieux, bénéficie d'une autre source de financement par le biais de l'approvisionnement des cantines et autres services de l'Etat et qui représente quelque 60% du chiffre d'affaires. Autrement dit, cette infrastructure réalise ce bénéfice en approvisionnant les effectifs des corps constitués, des grandes entreprises, dont Sonatrach, les universités, qui sont les plus gros clients des chevillards des abattoirs d'Alger.