En grève de la faim depuis le 15 novembre, à l'aéroport de Lanzarote, où les Marocains l'ont expulsée depuis Al Ayoun pour avoir refusé de se faire enregistrer comme marocaine sur la fiche de débarquement, Aminatu Haider reçoit, sans discontinuer, ses visiteurs. Entre la vie et la mort, elle a toujours le sourire. Femme fragile, mourante, elle a vécu le pire dans sa vie. Elle a idéalisé le rêve de son peuple et banalisé depuis longtemps l'idée de la mort. Bardem, Saramago, Boi-tia Stevens et les autres
Des membres d'associations de soutien à la cause sahraouie, des journalistes, et surtout des artistes de renom, parmi lesquels l'acteur Javier Barden, Oscar du cinéma espagnol, qui vient d'entrer d'un séjour dans les camps de réfugiés de Tindouf, est choqué par la dégradation de l'état de santé de l'activiste indépendantiste sahraouie. Une femme de 42 ans à la santé fragile pour les longs séjours dans les prisons marocaines, mais au moral de fer pour son combat pour l'indépendance du Sahara occidental qui exige du gouvernement espagnol de la laisser rentrer chez elle, à Al Ayoun. «Si Haider ferme définitivement les yeux, le gouvernement d'Espagne, l'actuel, celui d'avant et les autres, quelle que soit leur couleur politique, en porteront la responsabilité, avec le Maroc», avertit l'Oscar du cinéma. Parmi les célébrités qui savent que Haider ne reviendra pas sur son choix, pour l'avoir bien connue, il y a le Portugais José Saramago, le prix Nobel de littérature qui vit à «un pas» du lieu où l'indépendantiste sahraouie poursuit sa grève de la faim. Mais qui se trouve à l'étranger d'où il lui écrit une émouvante lettre dans laquelle il l'implore de faire l'économie de ses forces «pour les batailles futures qui l'attendent». L'aéroport de Lanzarote est plus fréquenté que d'ordinaire. Les touristes qui viennent chercher un peu de soleil aux îles Canaries connaissent le combat de Aminatu Haider et n'hésitent donc pas à faire un tour vers un coin du hall international où elle n'est pas seule. Avec elle, ce vendredi soir, assise à ses côtés, à même le sol, il y a Boi-tia Stevens, l'envoyée spéciale de la fondation Robert Kennedy. Elle vient d'arriver en toute hâte des Etats-Unis, après avoir vainement tenté d'entrer en contact avec le gouvernement espagnol pour lui demander d'agir vite, de ne pas laisser la situation aller vers l'irréparable. Lundi, elle se déplacera à Madrid pour demander aux autorités espagnoles de trouver une solution à ce grave problème. Tout comme Javier Barden, elle s'est dite «extrêmement préoccupée par l'état de santé de Mme Haider». La responsable exécutive du département juridique de la fondation Kennedy qui a déjà octroyé, en 1998, un «prix» pour le combat de Aminatu Haider, n'était pas là pour une simple visite de compassion. Elle a longuement parlé avec la militante sahraouie de son combat pour l'indépendance du Sahara Occidental. Elle lui a dit aussi que sa fondation agit activement dans ce sens au niveau des institutions officielles et civiles américaines. C'est ce message que Mme Haider voulait entendre. Ses yeux se sont illuminés et elle a donné une chaleureuse accolade à sa visiteuse venue de loin. Elle sait, maintenant, que son combat n'est pas vain. «Elle est physiquement très affaiblie mais elle a un moral d'acier», confirme Mme Stevens à la presse. Le gouvernement espagnol panique
Le gouvernement Zapatero, son ministre des Affaires étrangères en avant plan, est partout pointé du doigt. Comment un gouvernement de gauche qui se dit à l'avant-garde de la défense des droits de l'homme a-t-il pu faire le jeu des Marocains dans cette affaire ?, s'indigne-t-on même dans les milieux du PSOE. La presse, toutes tendances confondues, est convaincue que cette affaire porte quelque part la honteuse griffe diplomatique de Miguel Angel Moratinos. Des sources informées à Madrid disent que le gouvernement espagnol savait depuis le début que les autorités marocaines allaient expulser Mme Haider vers l'Espagne où elle dispose de séjour en tant que membre d'une colonie espagnole. Le Maroc avait programmé plusieurs réservations sur le vol reliant les Canaries à Al Ayoun, alors que Mme Haider était toujours aux Etats-Unis. L'Espagne savait, mais le ministre des Affaires étrangères, Moratinos, ne semblait, en diplomate racé, mesurer cette fois l'ampleur des dégâts de ses imprudentes compromissions avec Rabat. La semaine dernière, devant la tournure prise par les événements, il sort de sa réserve en déclarant qu'il y avait deux solutions : «Soit demander un nouveau passeport (marocain) pour Mme Haider – chose qu'il a négocier avec son homologue marocain Fassi Fihri – soit lui octroyer le droit d'asile en Espagne. Naïve suggestion ? Non, nouvelle manœuvre diplomatique pour permettre au Maroc de sauver la face. La réponse de Mme Haider est sans appel. Pas question d'autre solution que «mon retour chez moi». Vendredi, Moratinos a pris souvent le portable. Mme Haider refuse de lui parler. «Elle est trop fatiguée», lui dit-on, ce qui est vrai en partie. Samedi, il ne désespérait toujours pas de l'avoir au téléphone. S'engage alors une course contre la montre, cette fois au niveau du Parti socialiste au pouvoir où se tiennent des réunions non stop bien équilibrées entre partisans du Front Polisario et pro-marocains. Les premiers sont représentés par la jeune Leire Pajin, responsable de l'organique du PSOE dont la carrière politique a commencé comme jeune militante de la cause sahraouie, et Pedro Zerolo, chargé des relations avec la société civile. Les seconds le sont à travers Elena Valenciano, chargée de la politique extérieure du Parti socialiste qui apporte, ouvertement, son soutien au «plan d'autonomie» marocain dans les termes choisis par le chef du lobby, Miguel Angel Moratinos. A cette série de réunions qui se tiennent alternativement au siège du PSOE et du ministère des Affaires étrangères, ont été conviés des artistes de renom, tous pro-sahraouis. Apparemment, le gouvernement espagnol est pris de panique. Il n'use plus avec la même arrogance de «pressions» sur les organisations civiles espagnoles qui soutiennent la cause sahraouie, ni du même mépris pour le Front Polisario, selon les propos du délégué par intérim du Front Polisario à Madrid, Mehamed Khedad, chargé des relations du mouvement sahraoui avec la Minurso et membre de la délégation sahraouie aux négociations avec le Maroc. Mais la solution est-elle, aujourd'hui, entre les mains des Espagnols ? Par son énième imprudente manœuvre, M. Moratinos qui a toujours eu du mépris pour les responsables du Front Polisario, sait qu'il ne peut pas exercer de «pression» sur l'une des figures les plus prestigieuses de la cause sahraouie. Mme Haider, il le sait, fait partie de ces symboles dont la mort (un symbole meurt-il vraiment ?) devra être assumée par l'Espagne qui a déjà mauvaise conscience d'avoir livré le territoire sahraoui, en 1975, à l'occupation militaire marocaine. Algérien ! Vous êtes algérien !
A cette date, Mme Haider n'avait que huit ans. «Pour avoir refusé cette occupation, une fois adulte, elle disparaîtra durant quatre ans dans la prison noire de Salé, tortures, viol, la descente aux enfers, tout le monde la croyait morte...» A la voir, pour la première en 2005 au cours de son premier meeting à Madrid, lorsqu'elle a pu sortir du Sahara Occidental, après de fortes pressions internationales contre Rabat, sa voix est forte et puissante. Emu par son récit dans les geôles marocaines, tout le monde voulait l'approcher, la toucher. «Journaliste algérien ! vous êtes journaliste algérien ! Quel bonheur pour moi, mon frère, de pouvoir dire à travers vous merci au peuple et au gouvernement algériens, à l'Algérie, pays du million et demi de chouhada...» Sur cette même tribune, de ses deux mains osseuses mais combien chaleureuses, elle tiendra les miennes sans les lâcher durant les quinze minutes que durera notre premier contact. Autour d'elle, beaucoup de monde forme un cercle compact difficile à franchir. Un peu comme si on voulait la retenir, car quelques minutes auparavant elle venait de faire ses adieux à une salle émue aux larmes. «Nous nous voyons peut-être pour la dernière fois.» Dans cette salle il y avait déjà Javier Bardem, le futur Oscar du cinéma et beaucoup d'autres figures du cinéma espagnol, des syndicalistes, des hommes politiques de gauche et de droite. Une jeune actrice pleurait à chaudes larmes. Elle était hier aux côtés de Mme Haider à Lanzarote.