Le résultat du référendum sur l'interdiction des minarets en Suisse a provoqué une véritable levée de boucliers à travers le monde. En Europe, quand bien même certains partis xénophobes se seraient félicités du vote des électeurs helvètes, l'opinion a manifesté majoritairement sa désapprobation, considérant la décision discriminatoire, qui plus est contraire aux lois internationales et aux traditions de neutralité de la Suisse. Hier, Navi Pillay, Haut commissaire onusienne pour les droits de l'homme, s'est empressée de dénoncer la décision des électeurs suisses qu'elle qualifie de «clairement discriminatoire». La Haut commissaire n'a pas hésité non plus à tirer à boulets rouges sur les auteurs des affiches électorales «ouvertement xénophobes» qui, selon elle, participent à créer un climat de peur de l'étranger dans de nombreux pays. Navi Pillay a averti que l'interdiction de la construction de minarets risque de mettre la Suisse en contradiction avec ses engagements internationaux en matière de droits de l'homme, rappelant que le Comité des droits de l'homme de l'ONU avait averti, le 3 novembre dernier, qu'une telle décision constituerait une violation des engagements souscrits par la Suisse dans le cadre de la Convention de l'ONU pour les droits civils et politiques. L'onde de choc provoquée par le vote suisse n'a pas épargné les pays musulmans. Dignitaires religieux et officiels continuent de réagir à ce qu'ils estiment être une porte ouverte pour la montée de la xénophobie et du racisme antimusulman en Europe et dans le monde. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan assimile le vote à une «erreur» que la Suisse devrait au plus tôt corrig «le reflet de la montée d'une vague de racisme et de l'extrême droite en Europe», a souligné que «l'islamophobie est un crime contre l'humanité». Le chef de l'Etat turc Abdullah Gül a pour sa part parlé de décision «honteuse» pour les Suisses. Le ministère turc des Affaires étrangères s'est dit «consterné» du vote, rappelant que la décision a suscité une inquiétude auprès des 100 000 Turcs établis en Suisse. En Jordanie, le parti du Front de l'action islamique (FAI) a vivement critiqué la décision d'interdire la construction des minarets en Suisse, la qualifiant «d'incitation à la haine et au racisme». Le FAI qui considère l'interdiction comme une «insulte aux musulmans» a appelé le gouvernement suisse à reconsidérer sa décision «immorale» afin de «préserver ses relations avec le monde musulman». Cette réaction vient en soutien aux nombreuses déclarations de dignitaires musulmans, sunnites et chiites, qui ont assimilé le vote à une attaque frontale contre l'Islam et les musulmans à travers le monde. Les organisations internationales qui se sont également impliquées dans le débat n'ont fait aucun compromis à la décision des électeurs suisses. L'agence du Conseil de l'Europe spécialisée dans la lutte contre le racisme et l'intolérance a estimé hier que le vote, organisé suite à une «initiative qui viole les droits de l'homme», risque «de stigmatiser davantage les personnes appartenant à la communauté musulmane et d'augmenter les préjudices à leur «examiner attentivement les conséquences de ce vote et de faire ce qui est en leur pouvoir afin de trouver une solution qui soit conforme au droit international des droits de l'homme». Même les milieux épiscopaux Au lendemain du vote qui a stupéfait la communauté internationale et suscité les plus vives inquiétudes dans les milieux musulmans d'Europe et d'ailleurs, les réactions d'indignation ont fait la une de tous les médias. Dans les milieux épiscopaux, la question a été ressentie comme un renoncement aux idéaux prônés par l'église. Par la voix de Mgr Antonio Maria Sveglio, président du conseil pontifical pour les migrants, le Vatican avait affirmé être «sur la même ligne que les évêques suisses» lesquels avaient déclaré, dès l'annonce des «un coup dur porté à la liberté de religion». Le secrétaire général de la conférence épiscopale suisse, Mgr Felix Gmür, avait fait savoir que «les évêques suisses ne sont pas contents», qualifiant lui aussi le vote de «coup dur pour la liberté religieuse et l'intégration». Dans un entretien à Radio Vatican, Mgr Gmür a rappelé que le concile Vatican II énonce clairement qu'il est licite pour toutes les religions de construire des édifices religieux. «Et les minarets sont des édifices religieux», a-t-il précisé. En France, la réaction des officiels a été on ne peut plus claire : «Il ne faudrait pas donner le sentiment de stigmatiser une religion, en l'occurrence l'Islam», a déclaré le ministre français de l'Immigration, Eric Besson. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s'est dit scandalisé par un vote exprimant autant d'intolérance. La présidence suédoise de l'UE a trouvé «surprenant» que l'on soumette la question des minarets à référendum. La ministre suédoise chargée de l'Intégration, Nyamko Sabumi, d'origine africaine, a indiqué qu'il n'y a pas de problèmes entre les Musulmans et les Européens dans l'Union européenne, déclarant que «les Musulmans sont Européens». Amnesty international et Human Rights watch se sont prononcées sur la question, estimant que le vote est une violation de la liberté religieuse, incompatible avec les conventions signées par la Suisse. Inquiétudes suisses L'indignation de la communauté internationale inquiète sérieusement les autorités helvètes. S'exprimant devant les ministres de l'OSCE, réunis à Athènes, la ministre suisse des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, a avoué que le vote interdisant la construction de minarets met en danger la sécurité de la Suisse. La responsable suisse a indiqué en outre que «la provocation risque d'appeler d'autres provocations, l'outrage d'attiser l'extrémisme». Micheline Calmy-Rey a confirmé avoir reçu plusieurs ambassadeurs de pays musulmans mais, selon toute vraisemblance, ses arguments n'ont pas réussi à les convaincre des résultats du référendum. Plus directe, la ministre de la Justice et de la Police suisse, Eveline Widmer-Schlumpf, a déclaré de son côté que le gouvernement suisse craint les conséquences du vote sur les exportations suisses et la branche du tourisme. L'autre crainte, estime la presse locale, est qu'un tel acte peut provoquer un retrait massif de fonds et d'avoirs des banques suisses. La possibilité n'est pas à écarter même si, jusqu'ici, aucun pays musulman n'a appelé ouvertement ses ressortissants à recourir à cette mesure. A Genève, ville considérée comme l'un des plus importants centres financiers en matière de gestion de fortunes et haut-lieu du luxe international prisé par les riches touristes arabes, les craintes sont grandes quant à un éventuel boycott de la cité par les musulmans. Une telle éventualité risque de mettre à genoux des entreprises qui se relèvent difficilement de la crise. Les chiffres montrent que chaque année, les visites à Genève des ressortissants des pays du Golfe génèrent environ 250 millions de francs suisses (164 millions d'euros), soit un dixième des revenus touristiques de la ville. L'organisation Economie Suisse a appelé enfin à «circonscrire les dégâts potentiels du vote à l'intérieur» des frontières suisses. La Suisse compte environ 400 000 musulmans sur une population de 7,5 millions d'habitants, faisant de l'islam la deuxième religion du pays après le christianisme, selon les chiffres du gouvernement.