Chanteur de l'immigration et d'ancienne génération, Moh Saïd Boutferni, du haut de ses 62 ans, n'a rien perdu de sa verve ni de son éloquence artistique. La rudesse et les mauvaises conditions de vie l'ont, à l'instar de ses compatriotes de l'époque, poussé à l'exil pour rejoindre son père et travailler à Paris encore tout jeune. En 1963, au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, il n'avait que 15 ans. Da Moh Saïd fait partie de ces artistes chaâbi d'expression kabyle qui ont su s'imposer, par la force du talent, de la créativité, dans une ville cosmopolite comme Paris. «Mélomane que je suis, j'ai acheté ma première guitare dès mon arrivée à Paris. J'ai commencé à fréquenter les cafés maures et les bars pour animer des soirées», nous confie-t-il, lors de notre rencontre avec lui dans son village, à Tizi Temlelt, commune d'Iflissen. C'est en exil qu'il commença à composer ses premières chansons. Ces thèmes favoris sont l'exil, l'amour et la déception, les dures conditions de vie des montagnards kabyles… Auteur et compositeur de talent, il a su harmoniser des musiques et poèmes romantiques, avec des aires et mélodies qui subjuguent, à l'image de L'firaq, Ouliw Irreq… dans un timbre de voix et un style musical propres à lui, et qui ont épaté plus d'un, à l'instar de bon nombre de chanteurs de sa génération. Paradoxe, aucune de ses 23 chansons n'est enregistrée pour le moment. Ceci se comprend quand on sait qu'il n'est pas le seul à ne pas avoir eu la chance, pour de nombreuses raisons, d'entrer dans un studio d'enregistrement Durant les quatre décennies de son exil, dit-il, il animait des galas artistiques dans des cafés maures avec d'autres amis et musiciens. «A un certain moment, c'était mon gagne-pain», dit-il. Humble et modeste, il a, en un laps de temps, gagné l'estime de la plupart des chanteurs chevronnés de l'époque qui ne sont plus de ce monde, comme Slimane Azem, Dahmane El Harrachi, Zarouki Allaoua… et tant d'autres artistes qu'il a longtemps fréquentés. Aujourd'hui en retraite, oublié ou méconnu des nouvelles générations, Da Moh Saïd ne rate aucune occasion pour monter sur scène. «Je compte mettre le casque pour enregistrer, si Dieu le veut bien sûr, toutes mes chansons. Je consacre la plupart de mon temps à la musique.» Hormis la musique, Da Moh Saïd est aussi un véritable factotum, un philatéliste et un accro de la collection des objets d'antiquité.