La fiscalité constitue une préoccupation au sein de la société algérienne encore dépendante de l'Etat puisque le service public est assuré avec les fonds collectés à travers l'imposition ordinaire et pétrolière. Pour mieux comprendre l'importance de la part du contribuable dans le financement de ce service public, Djamel Djerad, expert-comptable, commissaire aux comptes et président d'honneur de l'ordre, explique dans cet entretien accordé au Temps d'Algérie cette équation. Qu'est-ce la fiscalité ? La fiscalité date de l'antiquité. Il s'agit de droits que doit percevoir le chef des sujets du fait qu'ils soient sur son territoire pour en faire fortune et en même temps pour accomplir des travaux de service public. Jusqu'aux révolutions française et américaine, la fiscalité a fait l'objet de débat révolutionnaire. Elle est un moyen financier permettant à l'Etat de vivre et de réaliser des services communs (routes, écoles, hôpitaux, poteaux électriques et autres infrastructures…), soient les investissements publics et le paiement des charges publics, y compris les salaires des travailleurs fonctionnaires, et de ce fait rendre pratiquement meilleure la vie du citoyen en construisant des écoles à proximité en dispensant un enseignement valable, ce qui nécessite la formation d'enseignants qu'il devra payer. Idem en matière de santé, en construisant des hôpitaux et des services hospitaliers de proximité, former et recruter les personnels et les payer, en plus de la prise en charge du citoyen en matière de santé publique ainsi que l'acquisition des équipements et des médicaments… La priorité est accordée à la santé, à l'éducation, puis aux autres secteurs (tertiaires), comme les transports terrestre, aérien, ferroviaire et maritime. C'est-à-dire les routes, les ports, les aéroports et les chemins de fer (rails) qui incombent à l'Etat. Les autres services à la charge de l'Etat à travers la fiscalité sont fournis par les Assemblées populaires communales (APC), comme les documents relatifs à l'état civil (acte et extrait de naissance, fiche familiale, fiche individuelle, résidence, autorisation paternelle…). Donc, l'Etat doit aussi construire ces APC, recruter le personnel, le former et le payer avec l'argent du contribuable et donner les moyens pour que le citoyen obtienne ce service. Même chose pour la justice, l'Etat construit les palais de justice et les tribunaux, il forme et paie les magistrats ainsi que tous les autres personnels tout en mettant les moyens qui vont avec leurs fonctions pour rendre ce service public au citoyen. L'Etat est producteur de services que le contribuable paie par l'impôt. Ce service est impersonnel et commun. Le personnel qui rend ce service relève de la fonction publique. Est-ce que tous les impôts vont au service public ? Toute la fiscalité va à l'Etat qui la divise. Une partie est destinée au budget général, une partie est versée aux communes, comme la taxe sur l'activité professionnelle (TAP). Pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), une partie va aux communes et l'autre au budget de l'Etat. L'impôt sur le revenu global (IRG) et l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) vont au budget de l'Etat. C'est une division interne. Au niveau du budget de l'Etat, on a un total des dépenses et des recettes mais on n'associe pas la dépense à la recette. On estime les recettes à partir de l'imposition directe et indirecte. L'impôt direct est l'IBS et l'IRG car ils sont directement payés, et l'impôt indirect est une taxe comprise dans les prix, comme la TVA. Il y a aussi les droits comme ceux de l'enregistrement, de mutation et les droits de douane. Autres recettes, on retrouve les droits de concession, les droits domaniaux en cas de location ou autres usages. Toutes ces recettes sont dites ordinaires, en plus des recettes fiscales pétrolières. Les deux constituent les recettes totales de l'Etat pour faire face aux dépenses qu'il a programmées - annuelles, pluriannuelles ou quinquennales - dans le cadre de sa politique. L'Etat fixe ce programme par rapport aux recettes en sa possession. Dans le cas où ces recettes ne suffisent pas, on a donc un budget déficitaire. Le Trésor fait alors un emprunt public en puisant dans l'épargne publique à travers les bons du Trésor. Le public fait ainsi des placements au niveau de la Bourse. En Algérie, pour l'instant, il existe deux placements avec Saidal et l'hôtel El Aurassi. Il peut aussi faire des dépôts en bons de caisse anonymes ou nominatifs ou encore des obligations au niveau de la Bourse avec les emprunts obligataires de Sonelgaz, Air Algérie, Algérie Télécom, pour le secteur public, ou encore le cas de Cevital, dernièrement dans le secteur privé, ou encore les obligations du Trésor qui sont des valeurs sûres même si le taux est plus faible. Une chose est sûre, le Trésor ne fera pas en faillite. Voilà tous les moyens d'épargne. L'épargne publique est un surplus d'argent qu'on place en fonction de son intérêt et en fonction des risques. Quels sont les risques qui peuvent se produire ? Il s'agit, par exemple, des actions de Saidal ou d'El Aurassi qui risquent de chuter au niveau de la Bourse. Dans le cas des emprunts obligataires, il y a risque qu'une des sociétés soit dissoute. En général, les épargnants qui craignent les risques investissent dans les bons du Trésor car l'Etat est derrière et celui-ci ne tombera pas en faillite. Mais faudra-t-il que les gens aient de l'argent à épargner. Si les gens dans le cadre du crédit à la consommation n'ont plus d'argent, on se retrouve dans un cercle vicieux. Donc l'Etat ne va pas faire d'emprunt au niveau de la population et devra recourir à des emprunts extérieurs au niveau de la Banque mondiale (BM) ou du Fonds monétaire international (FMI), comme cela s'est déjà produit en Algérie. Il y a plein de risques comme ceux-là qu'il faudra gérer avec minutie. Mais ces emprunts ont un impact sur l'inflation ; que faudra-t-il faire donc ? En effet ; en fait, c'est comme une personne qui dépense plus qu'elle ne gagne. Elle peut le faire de deux manières, soit elle emprunte et dans ce cas elle devra rembourser, et ça coûte toujours plus cher, donc on sera toujours dépendant, sauf si on trouve un travail plus rémunérateur. Donc au niveau de l'Etat, il faudra que les entreprises produisent plus, créent plus de valeur et plus d'emplois pour qu'il y ait plus de rentrées fiscales pour combler le déficit. Avec la chute du prix du baril de pétrole, l'Algérie a dû emprunter, donc elle ne peut échapper à la réédition de ce scénario ? C'est un problème de stratégie d'urgence. Baser le développement sur le pétrole, ce n'est pas évident. C'est pourquoi, le budget est calculé sur un prix du baril nettement inférieur à son prix sur les marchés mondiaux. Actuellement, ce tarif est de 37 dollars. L'objectif est que l'Etat épargne des devises pour les mauvais jours. C'est toute une stratégie minutieuse pour savoir comment épargner, sur quelle monnaie faudra épargner. Peut-on se contenter de la fiscalité ordinaire pour calculer son budget ? Aucun Etat ne peut se contenter de la fiscalité ordinaire. Les Etats ont recours aussi à ses ressources propres. C'est le cas de l'Egypte, ce pays calcule son budget à partir de la fiscalité et les droits perçus sur le canal de Suez. C'est aussi le cas pour le Panama avec les droits sur son canal. Sauf pour les pays qui n'ont pas de ressources propres. Ces derniers doivent calculer leurs dépenses sur la base de leurs recettes fiscales. Est-ce que l'Algérie pourrait éventuellement calculer ses dépenses uniquement sur la fiscalité ? Au niveau de la demande de la dépense, actuellement, la société algérienne est dépendante très fortement de la dépense de l'Etat en matière de santé, d'éducation, de transports… Pour les chemins de fer, le prix du billet est subventionné car le prix appliqué est très inférieur à celui du coût. Pour Air Algérie, les lignes intérieures sont subventionnées ainsi que le ticket de l'Etusa. A l'université, le repas de l'étudiant est subventionné. Les hôpitaux et les médicaments sont gratuits. Donc on ne peut se contenter de la fiscalité ordinaire seulement. Actuellement, la part de la fiscalité ordinaire dans le budget de l'Etat est de 50% en Algérie. Pourra-t-elle augmenter ou diminuer à l'avenir ? Il est très difficile pour l'Algérie, un pays de l'hémisphère sud, d'augmenter l'impôt car c'est aussi politique. Même les parlementaires ne peuvent s'engager sur une augmentation de l'imposition pour être élus. Par contre, si on observe les lois de Finances de 2010 pour la plupart des pays du monde, il y a eu des augmentations des impôts sauf pour quelques rares pays. Pour le cas de l'Algérie, on diminue tout le temps. Dans d'autres pays normaux où on parle de services publics payants, le taux de la plupart des impôts a augmenté en 2010. En Algérie, dans le cas présent, on ne peut augmenter l'impôt ou demander aux Algériens de payer le service public. Le fait que la fiscalité constitue 50% du budget n'est pas évident. Ajouter à cela, il n'y a pas une organisation de la production et la détermination des coûts et du prix de revient. Malgré que les impôts diminuent la vie reste chère. En Algérie, on a la TVA, l'IBS et l'IRG à des taux les plus bas mais le problème persiste. On fait des exonérations pour permettre aux entreprises de créer de l'emploi. Or elles ne créent pas d'emploi. Elles le font rarement et très peu, sans les maintenir. Par ailleurs, il faut voir les salaires qu'ils donnent et enfin ça n'a aucune incidence sur le coût de production. Or en diminuant l'impôt on diminue le coût de production. Ce n'est pas le cas. Il faut savoir que la personne qui bénéficie de ces exonérations s'enrichit plus parce que c'est le contribuable qui lui paie le service public en payant l'IRG. C'est l'employé qui paie le service public à l'employeur. Ce n'est pas normal. Il faudra ouvrir un débat et faire une analyse sur cette question car les chiffres sont révélateurs. Il n'y a aucun intéressement pour étudier l'improductivité et la non performance des entreprises algériennes en termes de gestion et de production et non en matière de fiscalité, ainsi que sur les conditions de leur organisation. Comment ont-elles été réalisées et gérées ? C'est un problème d'enrichissement illicite. Les entrepreneurs créent des entreprises pour s'enrichir et non pas pour aider la société. Qu'en est-il du fonds national spécial ? Est-ce que ce n'est pas une sorte d'impôt indirect sur la fortune qui serait nécessaire à une justice sociale ? Je ne crois pas car il faut définir la fortune. En l'absence de service public performant, comme le transport en commun, l'accès au logement. La Banque mondiale fixe le PAS pour déterminer le SMIG (SNMG) à un F3 d'un couple ayant trois enfants scolarisés et qui peut se permettre un mois de vacances. Cela reste des critères qui ne sont pas universels. Il faut dire que l'impôt sur la fortune n'est pas un impôt performant. D'ailleurs, de 1962 à ce jour, en reprenant les exposés des motifs des lois de finances, les impôts non performants sont retirés en argumentant par «il n'a pas donné les résultats escomptés», parce que de cet exposé des motifs on donne des prévisions sur sa rentabilité. Il y a des impôts éparses qui ne riment à rien et se fixent sur des impôts performants. Avec moins d'impôts, la vérification est plus aisée. Les vérificateurs ne vérifient pas 36 impôts mais seulement 2 ou 3 qui sont dispatchés sur tout le monde. De façon macroéconomique, que vont rapporter ces taxes sur les yachts et autres fortunes. Les impôts performants (IRG, IBS et TVA) même très bas et appliqués à tous rapportent plus à l'Etat. Ils dénotent de l'activité économique. Ce n'est pas le cas de l'impôt sur la fortune. C'est aussi le cas de l'impôt sur la plus-value sur les biens et immobiliers et les droits de mutation. La fiscalité locale ne constitue pas grand-chose non plus.