L'expert pétrolier international Mourad Preure estime que la Corse est un marché «niche» pour l'Algérie face à ses «puissants concurrents» sur le marché international gazier avec l'option de vendre aussi son gaz de pétrole liquéfié (GPL) sur le marché français. Quelle est votre appréciation en tant qu'expert du projet Galsi reliant l'Algérie à la Sardaigne, en Italie ? L'Europe du Sud est le marché naturel pour le gaz algérien. Toutes les options doivent être mises en œuvre pour protéger et développer notre position sur ce débouché. La voie gazoduc est un bon choix car elle établit un lien plus solide entre vendeur et acheteur qui s'impliquent dans un partenariat à long terme en partageant les risques. Il nous faut, aujourd'hui où les technologies de pose et d'exploitation des gazoducs en eau profonde sont bien maîtrisées, en tirer avantage. Il faut rappeler qu'avec le gazoduc Algérie-Italie mis en service au début des années 80 nous sommes les pionniers. Accéder aux marchés européens du sud dans le cadre de partenariats, sachant que ces marchés sont fortement interconnectés, est une bonne chose. Il faut néanmoins veiller à disposer de suffisamment de gaz pour peser sur ces marchés et par conséquent maîtriser notre consommation domestique tout en développant l'exploration et en optimisant l'exploitation de nos gisements. A mon avis, il faut être extrêmement attentif à ces questions. Quelle est votre lecture de la déclaration du président français Nicolas Sarkozy sur le projet de relier la Corse à ce gazoduc ? La Corse est un marché intéressant pour nous. C'est un marché porteur puisque la production d'électricité tendra à se déplacer vers des sources propres dont principalement le gaz naturel. La taille du marché le rend difficilement accessible au gaz moyen-oriental par voie GNL. Donc c'est un marché à prendre. Dans la mesure où l'Union européenne s'implique dans l'investissement concernant les infrastructures, ça peut être une bonne opportunité, à condition que nous ayons du gaz à mettre dans ce gazoduc, bien entendu. Quelles sont les retombées économiques pour l'Algérie à partir des éléments qui sont en votre possession ? La source algérienne est contestée par des sources plus lointaines, principalement moyen-orientale et russe. On peut dire que la Corse est un marché «niche» qui peut ne pas intéresser nos puissants concurrents. Il faut y aller en tenant compte du fait que si on fait appel à nous c'est que nous sommes dans ce cas difficilement remplaçables. Par conséquent, il faut aller plus loin et proposer des partenariats plus en aval de la chaîne vers la distribution du gaz et de l'électricité aux consommateurs corses. Il faut comprendre que la décision d'allouer des volumes à un marché ou une utilisation spécifique est une décision stratégique de la première importance, tout simplement parce que ces volumes sont rares. Si on les met en Corse c'est que nous ne les mettons pas ailleurs où ils serviront à nous donner la masse critique pour peser sur le marché. Les retombées économiques ne peuvent se mesurer aux seules recettes. Il nous faut penser en termes de déploiement stratégique face à des concurrents qui ont des potentiels de réserves dix fois plus importants que nous, sinon plus. Pourquoi, à votre avis, la France tient à ce projet pour son approvisionnement en gaz ? Je l'ai dit plus haut, l'orientation est d'aller vers des sources d'énergie propre. Le gaz va prendre une place majeure dans la génération électrique à l'avenir. Dans le monde, il n'est plus considéré comme une «bridge energy» ou énergie de transition, mais comme une «destination energy». De toutes les énergies fossiles, il est la plus propre, celle dont le développement s'accorde relativement avec les objectifs de réduction des émissions de CO2. Voilà pourquoi la France veut développer son utilisation en Corse. Pour le reste, la taille du marché est telle qu'il y a très peu de solutions technologiques, hormis peut-être le GPL qui peut être acheminé par bateau avec pour objectif de développer des îlots propanés. Je pense que l'on devrait aussi travailler ce thème avec les Français, d'autant que nous avons une importante production de GPL. Comment l'Algérie vend son gaz à la France et au marché européen ? Que va-t-il changer si le projet de relier la Corse au gazoduc Galsi aboutit ? L'Algérie commerce essentiellement avec la France en matière de gaz dans le cadre de contrats à long terme. J'imagine que les volumes qui seront acheminés par cette infrastructure le seront dans ce cadre. Cependant aujourd'hui, nous avons dans le marché gazier une espèce de «bulle» due à une contraction de la demande d'une part ; d'autre part à l'arrivée d'importants volumes de gaz sur le marché (nouveaux projets gaziers et gaz non conventionnels américains). Cette bulle fait que les prix du gaz sur les marchés spot à court terme ont été divisés par quatre en 2009 pendant que les prix dans les contrats à long terme (l'essentiel de notre gaz est vendu dans le cadre de contrats à long terme) s'orientaient à la hausse car ils sont indexés sur les prix du pétrole. L'Algérie ne peut plus continuer à vendre son gaz comme par le passé car le marché, comme on le voit, est en plein bouleversement. Voilà pourquoi j'insiste. Il faut imposer à nos clients des formules partenariales qui nous ouvrent la voie pour atteindre le client final soit en lui vendant des molécules de gaz soit des kilowattheures. Car, il faut le savoir, si le risque et l'investissement se situent en amont de la chaîne, soit au gisement et dans le transport, le profit maximum se situe en aval de la chaîne, soit au niveau du client final.