Bernard Kouchner a le mérite de dire tout haut ce que la classe politique française pense tout bas : les rapports de la France avec l'Algérie seront «plus simples» une fois que les «novembristes» ne seront plus au pouvoir. Autrement dit, tant que vivra la génération qui a arraché l'indépendance de l'Algérie en l'affranchissant définitivement de sa tutelle coloniale, les relations bilatérales entre l'Algérie et la France demeureront frappées du sceau de l'incompréhension tant les rapports entre les deux pays sont «sentimentaux, violents et affectifs». Le mieux donc est que cette génération s'efface pour laisser la voie libre à la France d'entreprendre ce qu'il lui plaira en Algérie. En priorité, redéfinir les rapports devant la lier à son ancienne colonie. Sans l'ombre d'un doute, si l'on se fie à la logique de Kouchner, ces rapports n'en seront que «violents», sachant la «passion» qui anime encore les partisans de l'Algérie française, surtout leur vif souhait de reprendre pied dans un pays qu'ils refusent de croire libre et indépendant. Puisque «l'Algérie a été vécue comme française en France quand elle était une colonie de peuplement», pourquoi ne pas continuer sur cette voie et bouter hors du pouvoir la génération par qui la faute de l'indépendance est arrivée ? L'idée n'est pas aussi saugrenue qu'elle ne le paraît : les Français de la génération des «novembristes», en particulier les socialistes que le ministre français des Affaires étrangères représente dignement, et tous les tortionnaires, les criminels de guerre, les membres des sinistres commandos de l'OAS et les harkis qui n'ont jamais admis la perte de l'Algérie, la perle de l'empire colonial français. Se réapproprier les biens que les colons ont abandonnés et, par petites touches, accaparer les immenses richesses du sol et du sous-sol algérien, sans avoir à concurrencer les entreprises américaines, chinoises, italiennes, voire arabes, présentes en nombre en Algérie, la proposition ne peut que séduire et la classe politique française, et la multitude d'associations de pieds-noirs qui revendiquent, 48 ans après l'Indépendance, des «biens» naturellement devenus algériens. A vrai dire, la proposition n'est pas nouvelle. De son vivant, le président Mitterand, l'homme qui n'a jamais caché son aversion pour les hommes qui ont dirigé la rébellion contre la France, avait multiplié les initiatives en vue de reconquérir à moindres frais l'Algérie, ce territoire qu'il n'avait pu «pacifier» du temps où il trônait à la tête du ministère de l'Intérieur. Mitterand, pour rappel, s'était opposé à la suspension du processus électoral et son immixtion brutale dans les affaires intérieures de l'Algérie n'a pas été sans effets sur la suite des événements douloureux qu'a connus le pays. La France des socialistes avait pesé de tout son poids pour imposer un véritable black-out sur la situation prévalant en Algérie, elle ne s'est pas non plus inquiétée du terrorisme aveugle qui frappait en Algérie, ses médias et ses intellectuels attribuant les massacres de populations civiles, non pas aux hordes du GIA et autres organisations criminelles à la solde de l'internationale intégriste, mais aux «généraux» de l'ANP et aux «milices du pouvoir» qui se trouvent être, justement, les dignes représentants de la génération de Novembre. Le plus étonnant de la part de Kouchner est qu'il n'apprécie pas à sa juste valeur la lutte que mène l'Algérie contre le terrorisme international. Compatissant au fait que les Algériens soient choqués par les mesures de sécurité édictées dans les aéroports français – et américains –, le ministre français des Affaires étrangères persiste et signe : elles seront maintenues, quelles que soient les protestations officielles de l'Algérie. Plus subtile, il suggère que l'Algérie n'est pas un pays sûr. Il en donne pour preuve l'activité de l'Aqmi dans les immenses étendues de son désert. Un dérapage de plus pour celui qui s'est démené comme un beau diable pour libérer quatre terroristes de l'AQMI détenus au Mali. Les propos de M. Kouchner sont indécents, inappropriés et inacceptables. Dans la bouche d'un ministre des Affaires étrangères, ils deviennent une forfaiture.