Dans toute entreprise de recherche d'un individus suspecté d'un délit donné, il y a ceci de vrai : le plus petit indice est toujours bon pour lancer une excellente enquête qui doit nécessairement porter ses fruits. Et à Koléa, le plus petit indice a dit une grosse moustache portée par un individu qui courait entre deux points précis du quartier et le témoin était formel. Ali Ishaq, qui avait été pris, avait non seulement une grosse moustache mais encore était une vieille connaissance des services de police. Ce qui fait la célébrité des policiers, du procureur, de la juge de la première instance et du trio de magistrats qui avaient examiné le dossier, sauf que cette fois, Ali Ishaq, au casier chargé, en était à son premier délit de vol. C'était un lundi chaud en ce mois de février 2010 à Blida, surtout dans la salle d'audience de la cour de Blida où plus de trois cent cinquante personnes se trouvaient, sans compter la centaine d'avocats, dont la grosse majorité faisait un incessant va-et-vient entre la salle des pas perdus et la barre en attendant que leur tour de plaider arrive, face à Zoulikha Lachar, la présidente de la deuxième chambre correctionnelle. Le prévenu du jour avait écopé d'une peine de prison ferme à Koléa pour vol, fait prévu et puni par l'article 350 du code pénal. Flanqué de son avocat, maître M'hamed Chemlel, Ali Ishaq n'était pas dans son élément. Démoralisé doublement (le délit et la taule, le prévenu attendait beaucoup de son conseil). La juge ne perd pas son temps. Elle a sous les yeux le jugement et les attendus de Barik, son collègue de Koléa, et attend du détenu quelques éclaircissements qui ne viendront jamais. Ce sera alors la «corvée» pour son défenseur. - «Madame la présidente, lorsqu'on prend quelqu'un en train de voler, c'est un flagrant délit, et je m'excuse de défoncer une porte ouverte. Or, mon client avait été arrêté chez lui, à plus de 2000 m de chez la victime. On ne saura jamais, il a pu reconnaître quelqu'un qui court et qui porte une moustache ! Et justement comme vous le voyez, Ali Ishaq en porte une. C'était le seul indice. Or, personne ne l'a vu entrer, ressortir et... courir. Les policiers avaient sur eux cette seule “preuve” qui n'en est pas une. Le juge de Koléa en a décidé autrement. Vous trois êtes ici pour trouver la vérité. Et cette dernière est située dans un paquet de preuves, pas chez quelqu'un qui a couru et dont on a vu la moustache», a plaidé l'avocat de Koléa qui allait assister à un mini-interrogatoire qui allait voir le trio mené par Lachar annoncer la mise en examen de l'affaire, sans que Mohamed Boukhatem, le procureur général, n'ait ouvert la bouche. Et lors de la mise en examen, les juges ont bien dû relire tous les procès-verbaux, les auditions des uns et des autres, car Ali Ishaq est condamné à deux mois assortis de sursis, ce qui va lui permettre de rentrer chez lui, plutôt heureux d'être à nouveau en liberté que d'avoir couru derrière une relaxe, car ici le doute soulevé par l'avocat aura vu les trois juges couper la poire en deux, même si des éléments constitutifs du vol, à savoir les témoins, les empreintes digitales et autres, n'étaient pas évidents.