Elles sont de plus en plus nombreuses à «oser» et à «acheter» leur liberté dans une société aussi conservatrice où la femme divorcée est toujours «mal vue» et «mal jugée». Alors qu'en est-il pour celles qui procèdent au kholaa de leur époux ? Devenu presque un phénomène de société, el kholaa ou le droit au divorce pour la femme, depuis l'amendement du code de la famille en 2005, notamment l'ordonnance 05-02 datant de février 2005, s'incruste de manière effective dans les nouvelles mœurs. Ainsi, depuis cette date, les Algériennes bénéficient de la possibilité de demander le divorce sans faute (kholaa). Pour ce faire, elles doivent accepter de perdre leurs droits financiers et de rembourser la dot que leur a apportée leur mari lors de la conclusion du mariage. Adopté afin d'accélérer la procédure, le divorce sans faute exige toujours que les femmes demandent à un tribunal de mettre fin à leur mariage. «Pour celle qui opte pour un divorce sans faute, qui est plus rapide, et elle doit renoncer à tous ses droits financiers». Ainsi, Sur 100 demandes de divorce déposées au niveau du tribunal de Constantine, 20 concernent el kholaa, selon maître Baghdadi Fatiha, avocate à la cour et représentante de la ligue des droits de la femme. «20% des dossiers de divorce sont pour el kholaa. Les femmes veulent se libérer», d'après l'avocate. Selon elle, le nouveau code de la famille amendé a donné plus de droit aux femmes. Bien que tous les cas recensés jusqu'à présent concernent uniquement les femmes indépendantes financièrement, «ce sont celles qui sont dans le monde du travail qui demandent el kholaa», précise maître Baghdadi. Et oui, car il faudrait non seulement payer sa liberté mais s'assumer après son divorce, et pour cela, la femme doit travailler. «Si toutes les demandes d'el kholaa émanent de femmes travailleuses c'est parce qu'elles sont la possibilité de se prendre en charge après renonciation à tous leur droits», confirme toujours maître Baghdadi. Plus de 30 000 divorces chaque année La salle d'audience du tribunal de Constantine ce mercredi était archicomble, comme à l'accoutumée. C'est la journée consacrée aux affaires des familles. La juge doit se prononcer sur 265 affaires aujourd'hui. «C'est la moyenne car, et ce, depuis ces dernières années, les sections du statut personnel des tribunaux croulent sous les demandes de divorce qui représentent plus de 80% des affaires traitées», affirme maître Laib, avocat spécialisé dans les affaires de familles. «Environ un tiers des affaires concernent el kholaa et oui c'est la mode maintenant», souligne-t-il ironiquement. «Cette tendance est en augmentation», assure le jeune avocat. Selon des chiffres rapportés par diverses études sur la famille et la population, les divorces en Algérie sont au nombre de 30 000 chaque année. Les choses ont-elles vraiment changé depuis l'amendement du code de la famille ? Les avocats trouvent qu'au fond rien n'a changé car la femme ne peut pas obtenir le divorce sans l'accord du juge, celui-ci doit être convaincu de la gravité du préjudice qu'elle a subi, notamment des violences physiques, pour mériter sa liberté. Ils relèvent que même pour el kholaa, la femme reste tributaire de preuves à établir et «elle a souvent d'immenses difficultés à établir qu'elle a été lésée par son époux qu'elle demande à révoquer», souligne-t-on. A préciser que l'article 57 amendé du code de la famille stipule clairement que les décisions de justice concernant les cas de divorce, de répudiation ou d'el kholaa ne sont pas sujettes à un pourvoi en cassation.
El kholaa existait avant 2005 Maître Baghdadi explique que «sous l'ancien code de la famille, celui de 84, il y avait deux arrêtés de jurisprudence qui exigent l'accord du mari même dans le cas d'el kholaa. C'étaient deux arrêtés contradictoires dans la jurisprudence». Les dispositions du code de la famille avant son amendement fixaient les conditions de demande de divorce (el kholaa) à cinq, à savoir le défaut de paiement de la pension alimentaire, le refus du mari de partager la couche conjugale, son infirmité, sa condamnation à la prison ou son absence pendant plus d'un an. Mais les démarches pour la demande d'el kholaa étaient faramineuses puisque seulement 9% des divorces prononcés pour les années 2000, 2001 et 2002 sont inscrits à l'actif des épouses (2295 en 2000, près de 2315 en 2001 et 2650 en 2002). Elles étaient seulement 3% qui parviennent à acheter leur divorce. Les femmes qui arrivaient à surmonter cette épreuve n'étaient pas nombreuses. Il fallait convaincre le juge de la nécessité de la chose. De plus, les femmes ne connaissaient pas toutes leurs droits en cas de demande de divorce. Les procédures étaient lourdes et elles se heurtaient pour la plupart à l'ignorance des lois qui étaient parfois ambiguës et contradictoires aussi dans certains cas à l'incompréhension des juges même si ces derniers sont des femmes. De surcroît et de peur des préjugés, elles préféraient le silence au lieu de se lancer dans «l'aventure». Les hommes le prennent mal Et si les femmes divorcées étaient mal vues dans notre société, les hommes qui ont subi el kholaa ne le sont pas moins. Leur virilité en a pris un coup. «La majorité de ces hommes le prennent très mal et le fait que leurs épouses ont réussi à acheter leur liberté, cela signifie pour eux la supériorité et ça les Algériens sont incapables de l'admettre», témoigne Mme Naziha, une enseignante qui a réussi son el kholaa en 2006 et a été contrainte de payer pour reprendre sa liberté. Elle raconte : «Mariée à mon cousin à l'âge de 26 ans, je quitte le domicile conjugal trois ans après les noces, enceinte de mon unique enfant. Je ne pouvais plus supporter mon mari qui ne travaillait pas et prenait toute ma paye.» Après une longue réflexion, elle a pris l'initiative de rompre avec son mari. Naziha n'a rien pu emporter de ses affaires. Au départ, «j'ai introduit une demande de divorce normale mais devant le refus de mon mari, je n'ai pas pu obtenir le divorce. Le combat a été long et a duré quatre ans. Il a fallu attendre l'amendement du code de la famille», explique-t-elle. Et de poursuivre : «Mon avocate m'a fait part de la nouveauté introduite dans le code de la famille, à savoir un préjudice légalement reconnu ou une faute morale gravement répréhensible qui ont été ajoutés à la loi.» Elle ajoute : «La bataille cette fois-ci n'était pas longue et j'ai réussi à acheter mon divorce mais un autre combat a commencé depuis avec mon ex-époux qui a très mal réagi en m'accusant de l'avoir humilié par mon geste. Depuis, j'ai dû changer d'adresse plusieurs fois.» Elle sourit et continue : «Je me prépare maintenant à entamer une autre guerre, celle de la garde de mon fils.»