«Nous vivons avec les rats et les cafards, nous sommes tous atteints d'asthme, nos enfants vivent un calvaire, nos reins sont pourris, l'exiguïté est notre mode de vie, mon oncle Mustapha est parti d'un F1 vers un autre F1 (la tombe) sans réaliser son seul et unique rêve : un toit. Des propos éparpillés exprimés par les résidents de Diar Echams. Ce quartier a été construit à l'époque coloniale, après l'indépendance des centaines de familles ont trouvé refuge en attendant la construction du pays, hélas leur rêve a été de courte durée, ils vivent depuis les années soixante dans le provisoire. Un provisoire qui a trop duré. La croissance démographe des années quatre-vingts a fait le reste. Des familles de 14 membres se retrouvent désormais dans une pièce cuisine. Le regard des résidents s'est tourné alors vers les espaces verts et autres terrains de jeux de proximité pour construire des bidonvilles histoire de fuir l'exiguïté. Ce sont des dizaines de constructions de fortune collées les unes aux autres. Nous sommes allés à la rencontre des habitants de cette cité qui se sont opposés à la police durant deux journées pour réclamer des logements décents. Notre première escale a été la cave de Merouche Mustapha, un père de famille sans travail, une épouse incarcérée et six enfants à charge. La famille Merouche vit dans un couloir ! Deux jeunes jumelles de 20 ans, l'une d'elle atteinte d'insuffisance rénale séjourne encore à l'hôpital Mustapha Pacha d'Alger et l'autre handicapée moteur est chez sa grand-mère dans un F1 qui contient déjà trois familles. Interrogé sur les raisons d'incarcération de sa femme, Mustapha baisse sa tête et se met à pleurer; une question très dure à entendre par l'homme. «Elle a escroqué sans le vouloir un bijoutier de quartier pour louer un appartement à ses enfants, en plus des jeunes filles malades, nos autres enfants sont tous atteint d'asthme». Mustapha continue tant bien que mal son récit : «Ma femme est devenue folle, son vocabulaire n'a qu'un seul mot : logement». Invité à visiter ce qui ressemble à un cachot, notre surprise fut grande, il n'y avait ni douche, ni toilettes, ni cuisine, juste deux chambres séparées d'un drap. Les murs suintaient d'humidité, le toit en tôle ondulée et l'odeur fétide de la moisissure des effets vestimentaires empestaient l'atmosphère. Le fils de Mustapha Merouche âgé de 17 ans a renchéri en colère : «Mes parents vivent dans ces conditions depuis 22 ans, je n'ai jamais connu de maison de ma vie, je me considère comme étranger dans mon pays». «El Kaf» ou la grotte de «Brahim Baba» Un homme d'un certain âge nous demande avec insistance de le suivre. A quelques mètres de là, Brahim habite dans une baraque de deux pièces sur le bord d'un ravin appelé par les habitants de la cité «El Kaf» une grotte où les jeunes du quartier passent leur temps en s'adonnant aux seuls plaisirs de leur sombre vie. Brahim partage ce semblant d'habitat avec 13 membres de sa famille. Deux fils mariés ayant chacun 3 enfants et une fille divorcée mère d'une fillette, sa femme et lui. La famille de Brahim a fui le terrorisme en provenance de Jijel pour se réfugier chez son frère à Diar Echems. Mais avec le nombre déjà important de la famille de ce dernier, Brahim a installé cette baraque : «Nous avons fui le terrorisme pour tomber dans les filets de l'ostracisme, on est relégué au rang animal, mon fils», a déclaré ce vieux retraité. Non loin de là, un espace en plein air destiné aux enfants est devenu un dépotoir, des rats, des cafards, des moustiques et autres serpents sont les maîtres des lieux. Sur les raisons de cette situation, Brahim nous a expliqué que «les voisins qui habitent les bâtiments jettent leurs ordures par les fenêtres et parfois sur nos toits, tout cela pour nous faire fuir encore». Le petit-fils de Brahim arrive en courant : «Baba Brahim, Baba Brahim qu'est-ce tu m'as ramené ?». Youcef est âgé de deux ans et demi, il est atteint d'insuffisance rénale et d'asthme. «Il s'est fait opérer trois fois et une quatrième est pour ce mois de novembre, vous voyez même sa croissance est anormale». «C'est tous les jours la relève chez nous» Nous avons remonté la pente qui mène à El Kaf pour rencontrer un autre cas parmi tant d'autres. Celui-là, c'est Hocine, 40 ans, célibataire et officier de police ! Hocine est né à Diar Echems, il est le cadet d'une fratrie composée de huit personnes qui vivent dans un F escalier. Notre visite a été très courte non par fuite des lieux mais en raison de l'exiguïté et de l'étouffement. Ce commis de l'Etat vit et dors sur une planche inclinée en fonction des escaliers («on dort inclinés et non allongé !»). Pour être plus explicite Hocine et sa famille vivent dans une cage d'escalier, seize marches et un palier. La sœur de Hocine, atteinte d'un cancer, elle est privilégiée, elle dort sur le palier, c'est-à-dire qu'elle peut s'allonger. Nous avons demandé à Hocine de nous expliquer cette situation et comment ils vivent dans un tel endroit. ce dernier s'est limité à : «C'est tous les jours la relève chez nous, je dors parfois chez des amis mais quand je pense aux autres membres de ma famille, je renonce juste pour partager cette misère». A notre question sur le rôle de l'Etat, ce dernier a refusé tout commentaire : «Je suis officier de police, vous avez oublié ?» Garder son intégrité et son humilité dans pareil cas relève de l'utopie, et pourtant c'est bel et bien vrai. Les habitants de la cité Diar Echems ne demandent rien d'autre que d'être des Algériens à part entière et de ne faire la relève que pour veiller sur leur patrie l'Algérie.