La réunion des ministres des Affaires étrangères des pays sahélo-sahariens (Algérie, Libye, Mauritanie, Niger, Mali, Burkina Faso et Tchad), qui se tient aujourd'hui à Alger, est la première du genre. Rabat et Tunis «non concernés» Dans l'immédiat, ces sept Etats de la région, infestée par les groupes d'Al Qaïda pour le Maghreb islamique, entendent coordonner leurs actions armées contre cette organisation terroriste qui se livre aux prises d'otages, au trafic de drogue et d'armes (à destination de l'Algérie) et à l'endoctrinement des populations locales. Leur objectif, à moyen terme, est d'engager un programme de développement dans le Sahel, région économiquement vulnérable pour être l'une des plus pauvres au monde. L'état de pauvreté extrême de cette région qui s'étend du Tchad à la côte ouest africaine sur plus de 4 millions km2, Al Qaïda y a trouvé, en effet, le terrain idéal pour y installer ses bases. C'est à partir de là que le groupe de Mokhtar Benmokhtar veut cibler tout le Maghreb, le sud de l'Europe et faire jonction avec les relais d'Al Qaïda en Somalie. La réunion d'Alger dépend-elle, toutefois, de la seule volonté politique des participants et des moyens militaires et autres qu'ils prévoient de mettre en œuvre en commun ? En fait, la question fondamentale n'est-elle pas de se demander si tous les Etats qui sont présents ici à Alger, ceux de la région qui ont boudé cette réunion et les pays européens, les plus ciblés par les prises d'otages, jouent à fond le jeu de la lutte antiterroriste. Deux des plus importants pays du Maghreb, la Tunisie et le Maroc, sont absents, pour ne pas se sentir concernés par la menace qui plane sur le Sahel. Pourtant, le terrorisme d'Al Qaïda a frappé ces deux pays, le premier à travers l'attentat contre la synagogue de Djerba et l'enlèvement dans le sud tunisien d'un couple autrichien, transféré via l'Algérie vers le nord du Mali, et le second, avec les attentats meurtriers du 16 mai 2004 à Casablanca. La coopération maghrébine dans le domaine antiterroriste vue par Rabat et Tunis est encore au stade du «cancer qui n'arrive qu'aux autres» et du refus de ces deux capitales d'être amalgamées au «voisin (l'Algérie) à haut risque terroriste». Le principe et son contraire Même les pays qui participent à la réunion d'Alger ne jouent pas tous le jeu de la lutte antiterroriste alors qu'ils servent de base aux activités d'Aqmi. Les autorités algériennes qui apportent un appui logistique précieux à l'armée malienne dans ces opérations ponctuelles contre les groupes de Benmokhtar à Kidal, ont ressenti un grand malaise lorsque, le 23 février, ce pays voisin et allié, sous la pression de la France, avait libéré quatre dangereux terroristes, dont deux Algériens que Bamako avait refusé d'extrader en Algérie, en échange de la remise en libéré de l'otage français Pierre Camette. Quelques semaines auparavant, le président malien assurait que jamais son pays n'accepterait un tel marché avec les terroristes. Pourtant, il a suffi d'une visite de Bernard Kouchner dans la capitale malienne pour que les principes soient rangés dans le tiroir. Nouakchott a elle aussi mal ressenti, au départ, la décision malienne et a rappelé, comme Alger, son ambassadeur à Bamako. Or, aux dernières nouvelles, ce week-end, le gouvernement mauritanien, contre toute attente, a engagé des négociations avec le Burkina Faso en vue de la libération des 67 membres d'Al Qaïda pour le Maghreb islamique incarcérés à Nouakchott, ou d'une partie d'entre eux dans un premier temps, contre celle des deux ressortissants espagnols et du couple italien, encore otages de cette organisation terroriste. Selon des «sources informées» citées par le journal espagnol El Pais, tel a été l'objectif de la visite, vendredi à Ouagadougou, du secrétaire général de la présidence mauritanienne, Adama Sy, qui a été reçu par le président Blaise Compaoré. Le scénario judiciaire de Bamako La conviction que quelque chose de ce genre a eu lieu, les déclarations de l'émissaire du président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, dans la capitale burkinabé, vont le confirmer. «Tout sera fait pour parvenir à un bon résultat», dit-il en allusion aux tractations actuelles autour de l'opération «échange de prisonniers terroristes contre les otages». Le doute s'installe donc sérieusement quant aux intentions du gouvernement mauritanien, si l'on considère encore que c'est le conseiller du président Blaise Compaoré, un Mauritanien, qui est à l'origine de la libération mardi d'Alicia Gamez, l'une des trois otages catalans. Ou encore que le président burkinabé, en bon allié de la France, obéit au doigt et à l'œil à Nicolas Sarkozy. Seulement 24 heures après la visite de Adama Sy à Ouagadougou, 14 des 67 terroristes dont le présumé auteur de l'enlèvement des trois otages espagnols ont été présentés au parquet à Nouakchott. C'est exactement ce scénario qui a été mis en scène, le 23 février, à Bamako avec un simulacre de procès de 4 terroristes d'Aqmi libérés en échange de l'otage français. Plus exactement encore, le lendemain même de la visite du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, dans la capitale malienne. Madrid : «Juego poco limpio» Madrid ne joue pas non plus «juego limpio» (jeu propre) dans la collaboration avec l'Algérie contre le terrorisme. Le gouvernement espagnol casse les oreilles des médias quand il affirme à qui veut bien le croire (très en réalité) qu'il n'a pas versé de rançon aux terroristes pour obtenir la libération de l'otage catalane. Tel n'est pas l'avis de la presse à grand tirage dont El Mundo qui assurait, en ouverture de son édition jeudi, que l'Espagne, par un intermédiaire (en allusion à la fondation libyenne) «a bien versé déjà 2 millions de dollars à Benmokhtar, de la main du médiateur mauritanien, conseiller de Blaise Compaoré et qu'Aqmi attend le complément (4 millions de dollars) pour libérer les deux autres catalans». Le Premier ministre Silvio Berlusconi ne se montrera certainement pas moins généreux que son collègue espagnol José Luis Zapatero. Il a déjà envoyé, la semaine dernière à Nouakchott, son émissaire, Mme Margherita Boniver, (avec un chèque ?) laquelle a déclaré, après ses entretiens avec les autorités mauritaniennes dont le secrétaire général de la présidence peu avant son départ à Ouagadougou, «avoir bon espoir d'une libération rapide» du couple italien. Quels arguments avanceront donc ce matin à la réunion d'Alger la ministre mauritanienne des Affaires étrangères, Naha Mint Mouknas, le chef de la diplomatie malienne, Mokhtar Ouanane, et leur collègue burkinabé dont le pays est devenu la plaque tournante des négociations avec Aqmi, pour convaincre de leur prédisposition à observer les engagements pris sur un terrain aussi sensible que celui de la lutte antiterroriste ? Quel rôle pour l'Otan ? Que vaut l'engagement d'un pays comme l'Espagne qui appelle l'Otan à s'impliquer dans la lutte contre Al Qaïda dans le Sahel ? Dans un récent rapport du ministère espagnol de la Défense, il est dit que «l'Espagne veut que l'Otan s'engage dans la lutte contre la menace terroriste au Sahel». Ce rapport rédigé par deux officiers supérieurs espagnols auprès de l'Alliance atlantique suggère que «l'Otan joue un rôle plus important dans les régions d'intérêt stratégique comme le Sahel, à travers un accord avec l'Union africaine ou la Ligue des Etats arabes dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée (UPM)». Une source diplomatique occidentale à Alger, citée par Reuter, présente «l'Algérie comme la principale puissance économique et militaire de la région, jouissant d'une longue expérience dans la lutte antiterroriste qui se doit d'assurer la coordination de la lutte contre Al Qaïda dans la région, laquelle ne peut se faire de manière séparée sans risque de voir le terrorisme menacer d'autres parties de la région». L'impression qui se dégage de ce constat est que ni les voisins immédiats de l'Algérie dans le Maghreb, ni ses partenaires du 5+5 qui doivent se voir le 16 avril à Tunis, ne semblent vouloir jouer honnêtement le jeu dans le cadre de la lutte antiterroriste, hors de leur espace propre.