A l'évocation de Semmar, d'aucuns pensent aux bidonvilles, aux entreprises de récupération, aux décharges publiques et autres endroits insalubres et miséreux. Cette petite banlieue située à l'est d'Alger regorge de constructions illicites où des communautés s'y sont installées depuis des années, voire des dizaines d'années. Certaines familles vivent en deçà du seuil de la pauvreté, mais leurs bicoques en tôle ondulée sont surmontées de paraboles. L'hiver est très redouté par les familles en raison des infiltrations des eaux. C'est vrai que, pour cette tranche de la société, la misère est moins pénible au soleil, comme dit le poète. L'hiver, les venelles entrelacées, dépourvues de bitumes deviennent de véritables bourbiers que les jeunes écoliers endurent en silence. A travers ce reportage, nous tenterons de découvrir l'intérieur de ce bidonville qui, selon certains responsables, «n'a jamais été ciblé par un quelconque programme de relogement et encore moins par le logement social». Accéder aux bidonvilles de Semmar est une intrépide entreprise. Il est judicieux de recourir à l'aide de personnes y résidant ou du moins connaissant les lieux. Sur la route menant vers la commune de Baraki et à mi-chemin, nous bifurquons et empruntons une route étroite et accidentée, conduisant à l'ancienne entrée de la gare de Semmar. Le long de cette route poussiéreuse sont installées des entreprises de récupération. Haï Ramli, première partie du ghetto est dans le prolongement de ces entreprises dont certaines, nous dit-on, «exercent illégalement». Les lieux sont dans un état d'insalubrité avancé. Des débris de verre, de vieux bidons d'huile, des sachets accrochés aux branches des arbres et autres carcasses de voiture jonchent les abords de cette route dont le bitume renvoie aux années 1960. Au cœur de ces milliers de baraques, les enfants rient et s'amusent avec les jouets du bord. C'est d'ailleurs un des enfants qui nous servit de guide pour retrouver les responsables de comité. Ils sont 7 comités à chapeauter et à administrer les affaires de la cité. Il y a la communauté dite «des Tunisiens» qui détiennent une grande partie de ces ghettos. L'une de leurs activités favorites est la mendicité. Organisée d'une manière patriarcale, les femmes et les jeunes filles, bébés en mains se rassemblent très tôt le matin pour se rendre à une destination choisie par le père spirituel auquel toutes les recettes sont remises en fin de journée. Des taxis sont loués pour la semaine et chacun pour une direction précise. Il y a les Beni Aâdes qui occupent une petite place. Pour cette communauté, le sexe est le principal moteur de vie. Il y a également les gazanet (les voyantes ou celles qui tirent les cartes). La voyance et la magie sont les principales activités de cette communauté que beaucoup de femmes et d'hommes visitent. Selon des indiscrétions émanant de personnes ne prêtant pas de crédit à ces pratiques, «ces gazanet (voyantes) gagnent des fortunes (environ 1000 DA la séance) en s'adonnant au charlatanisme». A ce propos, il faut croire que des femmes et même des hommes payent le prix d'or pour s'offrir les services de ces voyantes qui, selon des témoins «rentrent en transe pour mieux percevoir l'avenir de leurs patients et ont recours à des esprits pour prescrire les médications nécessaires». Il y a aussi les Corses et les Ch'hahta qui, eux, sont des gens paisibles mais très près de leurs sous. Cela dit, le ghetto de Semmar est occupé par une multitude de catégories de gens qui se côtoient dans la pauvreté et le manque d'hygiène. Ils semblent être exclus de la société et pourtant bon nombre d'entre eux exercent au sein d'entreprises respectables. Avoir un logement est un rêve pour la plupart de ces personnes. Mais cette clef du bonheur ne leur est pas permise car, nous confie un des responsables de comité, «le président de l'APC de Gué de Constantine nous a signifié, via une note, l'interdiction d'accéder aux logements sociaux». Se sentant fort de la présence de ses pairs, ce dernier nous révéla que «des centaines de dossiers pour lesquels on nous a exigé le versement de 50 et 100 DA, ont été jetés dans les eaux de l'oued El Harrach dont le lit sépare le bidonville de la sinistre forêt dite la prise d'eau». «Les centaines ou les milliers de familles qui vivent dans ces ghettos ne sont-ils pas des Algériens ?», se sont interrogés nos interlocuteurs qui se disent être marginalisés et exclus. Un grand nombre ont même été interdit de prêter leur voix durant les joutes électorales. En somme et au vu de tous les programmes de relogement entrant dans l'optique de l'éradication des bidonvilles, il est à se demander pourquoi ce bidonville qui existe depuis les années 1960, n'a-t-il pas été déraciné ? Une question qui demeure posée. Des enfants scolarisés «sous contrat» L'accès au savoir étant un droit universel à tous les êtres humains comme le stipule la charte internationale des droits de l'homme. Cela étant, certains propos tenus par les «parias de Semmar» nous poussent à nous demander pourquoi en Algérie, certains enfants sont contraints d'étudier d'une manière fallacieuse. Autrement dit, pourquoi certains parents, logés pourtant dans des «gourbis dotés par Sonelgaz de compteurs d'électricité et recensés par les services de l'administration locale», sont-ils obligés de verser dans le fallacieux pour assurer la scolarisation de leur progéniture ? C'est la question qui a taraudé notre esprit suite aux déclarations du responsable du comité de Haï Ramli qui avance que «certains parents ont été obligés de traficoter des certificats de résidence ou payer des personnes pour obtenir un certificat d'hébergement, et ce, aux fins de scolariser leurs enfants dans des établissements situés à quelques encablures». Comme quoi, l'avenir de ces enfants est tributaire des contrats liés de quelque façon que ce soit par leurs parents. Lors d'une virée à travers les étroites venelles de ce bidonville, nous avons rencontré un nombre impressionnant d'enfants dont les regards semblent interpeller notre conscience. Par réflexe ou par compassion, Moh le photographe s'est senti le devoir d'immortaliser les visages de ces enfants évoluant avec insouciance dans un environnement insalubre et précaire. L'innocence avec, pour toile de fond, la misère et l'oisiveté avec tout ce qu'elles induisent. Des enfants condamnés à vivre dans un espace cerné, d'un côté, par l'oued El Harrach et, de l'autre, par les rails du chemin de fer. Un juteux commerce nommé Oued El Harrach Accéder à certains endroits de ce bidonville relève de l'audace. Les surprenantes révélations faites à propos de l'exploitation perfide du lit de l'oued par certaines personnes, incite notre curiosité. C'est ainsi qu'au terme d'une prompte virée sur un des versants de l'oued, nous découvrons un dépotoir qui cache un commerce juteux pour un certain nombre de personnes qui se serait autoproclamé propriétaire des lieux. Selon les propos des habitants, «ces personnes exigent des sommes d'argent aux camionneurs indélicats qui, pour éluder le versement du droit à l'accès à la décharge publique, préfèrent décharger leurs gravats ou ordures, dans le lit de l'oued». Un trafic porteur qui, à en croire les autochtones, «rapporterait environ deux mille dinars par jour à ceux qui le pratiquent». Un pécule cédé par des camionneurs fourbes et empoché par des individus sans scrupules au détriment de l'environnement et de la santé des enfants qui, fatalement, y rodent. Des bicoques coiffées de «têtes blanches» Même dans la précarité et la misère, les Algériens aiment s'informer via le tube cathodique. L'impressionnant nombre de paraboles installées sur les toits de ce bidonville atteste cette vérité. «Un excellent moyen d'évasion», dira un jeune au regard hagard. «C'est une sorte de bouée de sauvetage pour la plupart des habitants de ce bidonville qui y recherchent du savoir ou du divertissement», dira un jeune étudiant qui avouera que «la télévision exerce un pouvoir extraordinaire sur toutes les couches composant l'échelle de notre société et dans ce bidonville, certains y recherchent du savoir ou de l'information et d'autres recherchent des divertissements et des loisirs». En fait, il voulait insinuer que la télévision permettait aux habitants de s'évader et d'oublier, pour un moment, la dramatique situation dans laquelle ils vivent depuis des années. «Je rêve d'un logement depuis 1963 !» Mohamed Bouchareb est âgé de 72 ans et natif de M'sila. «Depuis mon arrivée sur les lieux en 1963 au même titre qu'un certain nombre d'autres personnes, je n'ai cessé de faire des démarches pour obtenir un logement, en vain», dira-t-il devant une ribambelle de personnes de tous âges. Sur un ton usé il affirme «depuis l'âge de 31 ans j'ai adressé un nombre incalculable de correspondances à la daïra, à la wilaya mais aucune n'a reçu un écho favorable». Se ravisant, il avouera «une fois j'ai reçu une lettre de recommandation du wali, adressée au président de l'APC lequel n'a rien fait du tout». Il s'interroge sur les raisons qui ont motivé les multiples refus signifiés par les instances et autres organismes logeurs. «La plupart des personnes ayant occupé les lieux en même temps que moi, ont bénéficié de logements», dira-t-il. Et tout en soulignant avec force son refus de verser des pots de vin il indique par dépit «la corruption et la chipa sont légion en Algérie et tous ceux de mon espèce sont des cibles pour les détenteurs d'un quelconque pouvoir au niveau des mairies, des daïras et des wilayas. Ainsi va mon Algérie», conclut-il avant de se taire et reprendre son somme diurne… les yeux ouverts.