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Le fantôme de Yilmaz Guney hante toujours le cinéma turc
Première semaine du film turc à Alger
Publié dans Le Temps d'Algérie le 28 - 03 - 2010

La première semaine du cinéma turc s'est tenue à Alger à la salle Ibn Zeydoun (Riadh El Feth) du 22 au 28 mars 2010. Les cinéphiles ont pu découvrir 18 films, dont Mon père et mon fils, le film du jeune réalisateur CAGAN IRMAK, qui a fait l'ouverture.
Cette manifestation tend à combler le déficit en matière de coopération culturelle entre nos deux pays, malgré, faut-il le rappeler, trois siècles de présence ottomane en Algérie.Depuis quelques années, le cinéma turc est revenu brillamment sur le devant de la scène internationale.
Est-il nécessaire de rappeler la qualité et la reconnaissance de l'œuvre de NURI BILGE CEYLAN, notamment UZAL (Lointain) qui a été primé à Cannes en 2003 et qui fait partie de la sélection des films présentés à Alger. De même, le travail du réalisateur FATIH AKIN (Contre les Murs) en Allemagne ou FERZAN OZPETEK (La fenêtre d'en face) en Italie, laisse augurer d'une véritable renaissance du cinéma turc, à l'image des cinéastes de la grande époque des YILMAZ GÜNEY, ZEKI ÖKTEN, YUSUF KURÇENLI et tant d'autres.
L'héritage de Yesilçam
Deux courants dominent dans le cinéma turc actuel. D'une part, les films commerciaux, conçus pour une audience locale, et d'autre part les films «d'art», réalisés avec peu d'argent, mais sans compromis, par des cinéastes indépendants.
Les films du premier genre, réalisés avec de gros budgets et la participation de personnalités célèbres de la télévision, sont très populaires. 10,6 millions de Turcs, sur un total de 26,5 millions, ont vu un film turc.
Cette situation n'est pas sans rappeler le cas indien où le film indou attire plus les spectateurs que le film étranger. Au contraire, les films faits par de courageux indépendants comme entre autres NURI BILGE CEYLAN, malgré un succès international incontestable, n'attirent pas les foules. Un cas exemplaire est celui du film UZAK (Lointain) qui a fait l'objet d'une distribution en deux temps (avant et après le prix de Cannes) mais n'a réussi à totaliser que 58 000 entrées. Mieux, TÜREV, sacré meilleur film à Antalaya en 2005, n'a attiré que 4000 spectateurs .
La préférence nationale
Le cinéma turc, dans son élan, continue de battre des records. Le plus important est la part de marché du cinéma national qui affiche un gain annuel supérieur à 20% en 2006, plus d'un spectateur sur deux a préféré voir un film turc, une première depuis plus de trente ans. La production nationale, avec ses 34 films/an, progresse également, mais sans commune mesure avec les chiffres des années 1970, presque dix fois supérieurs.
Le revers de la médaille de cette «préférence nationale» est l'émergence d'un courant nationaliste entretenu par des producteurs en quête de recettes. IRAK, la vallée des loups, sorti fin 2005, a attiré plus de 4 250 000 spectateurs. Ce record absolu est d'autant plus remarquable que la fréquentation globale, malgré un net redressement, n'a pas dépassé les 35 millions d'entrées pour 75 millions d'habitants.
Le regain d'intérêt des spectateurs pour le cinéma populaire turc va donc de pair avec une demande croissante de sujets qui soulagent les blessures de l'orgueil national, mis à rude épreuve par la diplomatie internationale. D'où l'intérêt pour les pages glorieuses du passé ou le présent réinventé en compagnie de super-héros au manichéisme hollywoodien. Face à l'ascension des «films patriotes», le cinéma d'auteur se politise «intelligemment», comme en témoignent deux films primés au Festival ANTALYA en 2006 :
TAKUA d'ÖZER KIZILTAN qui relate du dilemme d'un modeste comptable, qui se trouve pris entre les interdits de sa religion et les réalités du monde libéral. Le scénariste ONDER CAKAR pose des questions essentielles sur l'influence grandissante que les confréries musulmanes exercent sur la vie sociale et politique du pays. Le Retour à la Maison dénonce les crimes contre les droits de l'homme commis sur des dizaines de milliers de personnes, intellectuels et militants de gauche, arrêtés après le coup d'Etat militaire du 12 septembre 1980
Levée de la censure
Depuis que la Turquie essaie de devenir membre de l'Union européenne, plusieurs lois sont passées en faveur de la liberté de création. En effet, la nouvelle loi sur le cinéma a levé la censure sur la création artistique. La production nationale bénéficie non seulement de l'aide européenne à travers EURIMAGE, mais également du Fonds d'aide mis en place en juin 2004 grâce aux efforts du ministre de la Culture, ERKAN MUMCU, lui-même autrefois assistant réalisateur. Grâce à ce fonds, une aide financière est accordée aux réalisateurs et producteurs (allant jusqu'à 30% du budget du film) après avis d'une commission de lecture.
La nouvelle loi stipule que les producteurs de longs métrages devront rembourser l'aide obtenue après la sortie nationale (deux ans au maximum). Les documentaires, les films pour enfants, les courts métrages et les films d'animation ne sont pas concernés par ce remboursement. Les films qui obtiennent des récompenses dans les plus grands festivals nationaux, ainsi que les films sélectionnés dans les grands festivals étrangers sont exemptés.
L'aide totale accordée par le ministère de la Culture annuellement au cinéma atteint un total de près de 7,5 millions de dollars.
L' ére des multiplexes et des majors américaines
En Turquie, après un déclin dramatique du nombre de salles de cinéma (1229 écrans actuellement), l'ouverture de multiplexes a apporté près de 1000 écrans. La majorité de ces salles a un contrat d'exclusivité avec une major américaine, comme la Warner Bros ou UIP. Il n'est donc pas facile pour les distributeurs de films indépendants étrangers, pas plus que pour les producteurs turcs, de trouver des écrans qui montrent leurs films sans avoir un accord avec une de ces majors.
Ces firmes décident quel film doit être projeté, où et quand et combien de temps. On peut dire que le cinéma turc a déjà intégré l'Europe, sans état d'âme. ATIF YILMAZ (1926-2006), un des plus grands et des plus prolifiques cinéastes turcs, avait prévenu au début du millénaire que le cinéma turc entrait dans une phase de reconstruction qui aboutirait à la reconnaissance internationale.


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