Qu'est ce qui a donc poussé la Maison Blanche à annoncer une décision aussi discriminatoire et, par conséquent, très controversée, que la mise au point d'une «liste noire» de quatorze pays dont les ressortissants sont jugés infréquentables, même si l'administration américaine a dû se garder d'employer le mot ? Gouverner n'est-ce pas réfléchir d'abord aux décisions qu'il faut prendre, le moment qu'il faut ! Or, dans ce cas précis, maintenant que Washington est revenu sur la mise en application de cette liste arbitrairement sélective, peut-on dire que Mme Janet Napolitano avait suffisamment bien réfléchi, avec son équipe, à l'utilité et à l'efficacité de ce choix ? Une décision peu réfléchie Il ne fait aucun doute que la Secrétaire à la Sécurité intérieure des Etats-Unis et son équipe composée d'experts de la CIA, du FBI et du Pentagone, ont agi avec précipitation, n'évaluant pas assez la portée que pourrait avoir une telle mesure sur les relations entre Washington et les pays frappés de discrimination. Une liste contestable globalement et dans le détail, car ses auteurs donnent l'impression d'avoir réagi à chaud aux événements qui peuvent l'expliquer. D'avoir cédé au préjugé sur l'identité nationale de certains pays ou, plus grave encore, d'être partis du théorème suivant et de sa réciproque : «Tous les citoyens des pays touchés par le terrorisme sont suspects. Ne sont pas suspects les ressortissants du reste de la planète.» Très naïve comme approche ! Qu'est ce qui peut démontrer que le cadre, l'homme d'affaires ou le simple touriste algérien soit plus suspect de terrorisme qu'un américain lui-même, un européen ou un agent israélien qui circule avec des faux passeports espagnol, britannique ou allemand ? A l'usage que tout le monde sait avec l'assassinat d'un dirigeant du Hamas à Dubaï. C'est prometteur que la Maison Blanche se soit rendue compte du ridicule d'une telle perception du danger terroriste. Les pressions des pays concernés, en bloc ou séparément, sont très certainement pour quelque chose dans l'abandon par la Maison Blanche du projet de Mme Napolitano. Lors de sa récente visite à Alger, les autorités algériennes lui ont fait savoir que cette mesure était contreproductive. En termes moins diplomatiques elles ont tenu à peu près ce langage : «On ne peut pas s'attendre à une coopération exemplaire en matière de lutte contre le terrorisme lorsqu'on fait dans le bricolage et le préjugé de culture, de nationalité ou d'identité.» Le désaveu européen La secrétaire américaine à la Sécurité n'en était pas à son premier désaveu quant aux méthodes qu'elle suggère pour renforcer la lutte contre le terrorisme à l'échelle internationale. Au début de l'année, à Tolède, elle n'avait pu convaincre ses collègues des «27» d'installer dans leurs aéroports des scanners de fouille corporelle. En revanche, les ministres européens de l'Intérieur lui ont promis, comme elle le demandait, d'autoriser la CIA à s'informer directement auprès des banques européennes sur les transferts financiers des clients. La démarche dans ce sens du ministre espagnol de l'Intérieur, Alfredo Rubalcaba, est rejetée en bloc par les eurodéputés qui y voient une violation des droits des ressortissants européens. Comment vont donc réagir les députés européens puisque désormais tous les ressortissants étrangers et pas seulement ceux des pays figurant dans la liste des 14 pays «à risque» devront se soumettre aux humiliantes fouilles corporelles et à des contrôles vexatoires dans les aéroports américains laissés à l'appréciation de simples agents de police des frontières. A l'aéroport Kennedy Il est positif que Washington ait élargi les mesures de contrôle dans ses aéroports à tout le monde. Mais que se passera-t-il dans les faits ? Tout le monde sait, par expérience et jusqu'aux personnalités mondialement connues en voyage dans ce pays, l'arrogance et le zèle provocateur avec lequel ces flics font leur travail. L'ancien président Ben Bella en a gardé le plus mauvais des souvenirs dans les années 80 à l'aéroport Kennedy où il a dû attendre deux ou trois heures, le temps que soit terminé le contrôle de son accompagnateur. Le même traitement a été réservé au ministre vénézuélien des Affaires étrangères de retour dans son pays après que son président eut qualifié Bush de «diable» depuis la tribune de l'ONU. Le franco-algérien Azzouz Beggag a eu la maladresse de répondre à la question du flic de service dans ce même aéroport alors qu'il venait donner une conférence dans une université américaine. Quel thème ? Le nom de l'université ? Une heure d'attente au guichet. C'est le comble pour l'ex-secrétaire d'Etat du gouvernement de Dominique de Villepin dont le flic n'a vu que le «gone du chaâba». Paris a protesté, certes, mais il finira par se satisfaire d'un vulgaire «sorry» de l'ambassade américaine. Jusqu'à Ehud Barak, ex-premier ministre israélien, ami de Bush et de Clinton et l'invité du «lobby américain», voilà quelques années, qui a ressenti l'humiliation de la fouille jusqu'au caleçon, à l'aéroport de New York Quel sera alors le traitement réservé au simple ressortissant des pays inscrits sur la «liste noire» officiellement mise dans le panier ? Certes, revenir sur une décision administrative injuste est un pas dans la bonne direction en matière de lutte contre le terrorisme pour assurer la sécurité des voyageurs. Dans la pratique, la garantie n'est pas donnée – au regard des expériences connues – que les voyageurs qui seront inévitablement victimes de discrimination dans les aéroports américains n'auront pas tous un dénominateur commun. Etre tous arabes, musulmans, les deux à la fois.