La maison du Néguev, de Suzanne El Farrah El Kenz, paru aux éditions Apic, renvoie à la question palestinienne qui interpelle la communauté internationale, insensible devant cette iniquité historique à travers la saga d'une famille palestinienne. C'est à travers un voyage initiatique dans son pays, la Palestine, et dans la maison de sa mère avec son fils de seize ans que Suzanne El Farrah raconte sa vie tissée d'exils physiques et d'exils intérieurs. Un exil qui transperce par l'intensité de l'affliction et par ce mal-être que Suzanne tente d'exorciser à travers ce récit douloureux, violent et triste. Le récit de cette famille et de cette jeune femme est amorcé par un exil en Arabie Saoudite. Suzanne, adolescente native de Ghaza, part en Arabie Saoudite avec sa famille, car son père y a trouvé un emploi. Mais suite à des problèmes de santé, il s'exile en Algérie où l'auteure grandira, étudiera et se mariera. Rattrapée par les événements de la décennie de feu et de sang, elle repart encore une fois en exil en Tunisie puis en France, plus précisément à Nantes.
Un voyage dans la mémoire collective Au fil des pages, la narratrice relate avec émotion et douleur son histoire jumelée à celle de son peuple et de son pays, sa Palestine chérie. C'est une confession intime racontée avec de profonds sentiments, et ces pages sublimes nous introduisent d'emblée au cœur de cette dépossession des terres palestiniennes et de cette identité volée et usurpée. Ce voyage dans la mémoire collective, ce miroir nostalgique de sa vie, en osmose avec celle de son peuple, donne une densité peu commune à cette narration. Le lecteur est emporté par la magie et la musique des mots et par ce cœur qui saigne et se languit d'amour et d'attachement pour sa terre natale. Nostalgique Suzanne ? Certes, elle vibre pour son pays, cette terre et sa maison spoliée par l'indu occupant sioniste qui, depuis des décennies, sème la terreur et la mort sur cette contrée. Elle se sent démunie de quelque chose d'ineffable, apatride, comment peut-elle avoir un équilibre et un bien-être ? Ses propos résument à bon escient ce mal-être. «Et nous voilà à présent. Présent. Unique temps pris en considération par les autres. Seuls, tout seuls, nous sommes restés à regarder notre passé, à essayer de le connaître et, de ce fait, à le maudire. A présent, nous voilà, éléments disparates, puzzlisés, mais néanmoins pugnaces. Affreux, sales, méchants, faibles, oui, si vous voulez mais résistants. Avec une vie en forme de mauvais conte qu'on raconte à nos enfants. Kene ya makene fi qadim ezzamene. Il était une fois où il n'était pas, dans les temps anciens ! Mais nos enfants n'aiment pas nos contes. ça ne les rend pas heureux.» Une œuvre aux accents tragiques Affichant ses sentiments et ses impressions, elle signe une authentique œuvre aux accents tragiques, comme ce drame palestinien avec une sidérante maîtrise. Suzanne, avec des mots simples du cœur, décortique son âme, sa vie, avec une fine observation et une belle réflexion sur l'art de se raconter. C'est un florilège de sentiments mélancoliques et de sensibilité à forte symbolique que l'auteure tente d'exorciser pour apaiser son âme tourmentée par ce manque qu'elle ressent dans sa chair. Dans son phrasé, elle est un passeur de mots tout simples pour dire toute sa douleur, sa souffrance d'être sans attaches, sans terre ni famille réunie. Ecrit avec les mots du cœur, cet ouvrage d'une fine observation et de profonds ressentis se décline dans la quête d'un bout de terre et de ciel bleu. Ce journal intime passionnant, superbement troussé, qui dévoile le vécu et les sentiments de l'écrivaine, a obtenu le prix Yambo Ouologuem lors de la deuxième rentrée littéraire du Mali.