Une maison qui se joue du destin d'une famille, condamnée à jamais à l'exil et à l'errance. L'auteure essaie de rapporter son expérience de l'exil, souvent recommencée. Il y a un dicton arabe qui dit : “El bouyout asrar” (une maison, ce sont des secrets). Partant de ce principe, il y a dans chaque maison des secrets et donc, une histoire. Mais lorsqu'on arrache sa terre à un peuple, qu'on détruit ses maisons, on s'adonne par là à d'abominables exercices, puisqu'on fracture son histoire et on transperce son cœur. C'est là la pire des ignominies. Le cœur meurtri, la terre spoliée et l'histoire confisquée, les Palestiniens qui vivent à l'extérieur de la Palestine sont à la fois éparpillés et dispersés. Ils sont comme des oiseaux à qui on a coupé les ailes. Et dans ce chaos, ils ne reste à ce peuple que les souvenirs. Alors, ils tentent de recoller les morceaux ; ils deviennent inconsciemment poètes et cherchent, au gré de l'errance, à reconquérir le cœur de la belle, le cœur de la terre, le cœur de la belle indifférente. Ils s'établissent souvent sur une autre terre, non pour se l'approprier et vivre, mais pour survivre. Dans ces cas-là, il ne reste que les souvenirs pour adoucir les malheurs et panser les blessures, qui sont, hélas, indélébiles. Dans le récit, la Maison du Néguev, de Suzanne El Farrah El Kenz, l'auteure raconte ses exils et sa vie, bercée et rythmée par l'errance. Contraignante comme vie parce qu'elle n'a presque jamais choisi l'exil. Elle n'a d'abord fait que suivre ses parents, tous deux enseignants, dans leurs voyages qui les ont d'abord mené en Arabie Saoudite puis en Algérie. Ensuite, elle a dû quitter l'Algérie (pour des raisons de sécurité), après y avoir connu l'amour, l'émancipation, la liberté, le marxisme et l'engagement, pour la Tunisie, et puis la France. Suzanne El Farrah El Kenz a tellement quitté après avoir trouvé, détruit après avoir bâti, et renoncé après avoir lutté, qu'elle se demande dans son récit si l'exil n'était pas héréditaire. L'auteure confie dans ce magnifique récit écrit avec une sensibilité à fleur de peau, au tout début de son ouvrage, les raisons qui ont favorisé son sentiment de vide et d'incomplétude qu'elle a ressenti toute sa vie et qu'elle ressent encore. Elle fait une sorte de mise en abyme où elle raconte à son lecteur l'histoire de la maison de sa mère. La maison de Beer Sheva qu'elle a visitée à l'âge de 15 ans. Cette visite a transformé sa vie et celle des siens à tout jamais. Suzanne El Farrah El Kenz a vu le visage de sa mère défiguré par la colère, lorsqu'elle a vu sa maison habitée par les “autres”, les Israéliens. Sa maison, et donc son histoire, sont perdues à tout jamais. Suzanne El Farrah El Kenz passera par plusieurs stades dans sa vie avant d'accepter la fatalité : l'exil est la seule constante dans sa vie. Mais avant de le réaliser et d'en prendre conscience, elle passera par les six stades d'acceptation de la mort : le déni de sa propre situation, la colère envers les siens, notamment ses parents, la peur de continuer à vivre loin de chez elle, la culpabilité de ne pas avoir été auprès de sa famille et d'avoir rompu les liens forts qui la liaient à son frère, la dépression en retournant sur la terre de ses origines, dans un voyage initiatique qu'elle effectue avec son fils, et l'acceptation d'une fatalité : elle sera à jamais incomplète avec un cœur déchiré. Suzanne El Farrah El Kenz est morte une première fois lorsqu'elle a quitté sa terre, et elle est morte une seconde fois lorsqu'elle est retournée avec son fils sur la terre de ses ancêtres, et qu'elle a réalisé qu'elle n'était chez elle que temporairement. Elle a trouvé sa place, mais elle l'a très vite perdue, condamnée ainsi à l'exil. Une errance recommencée qui se résumerait dans ce passage : “Reverrai-je un jour la maison de Beer Sheva ? Serai-je un jour une Palestinienne à part entière ? Que veut dire “à part entière” ? Non, il n'y a pas de part entière. Il y a des parts, entachées, détachées, par endroits sombres, transparentes par d'autres. C'est l'histoire qui le veut. Celle de nos pays dépossédés de leur Histoire.” La maison du Néguev, une histoire palestinienne, 159 pages, récit, éditions Apic, Alger, octobre 2009.