Bien que nous soyons indésirables sur les lieux du change au vu de notre profession, nous avons pu échanger quelques furtifs propos avec des cambistes au square Port Saïd qui exercent à quelques mètres des fourgons de police. Les quelques personnes que nous avons pu contacter ont exprimé leur joie après la chute de l'euro. «Cette aubaine vient gonfler les bénéfices», révélant que «les taux augmentent quand les devises chutent. C'est là la loi du marché.» Le square Port Saïd, très connu pour être le lieu de prédilection des cambistes, est en pleine effervescence à l'annonce de la dégringolade de l'unique monnaie européenne. La raison étant que cette baisse arrange les détenteurs de billets européens dont le taux de change parallèle est conditionné par les variations monétaires. Ainsi, explique Z. M., «lorsque l'euro baisse, la demande augmente au même titre que le taux appliqué». Il est convenable d'indiquer que l'euro a connu une dévaluation de l'ordre de 50 DA (0,5%), passant de 12,80 à 12,75% sur le marché parallèle. Ce qui, par conséquent, ajoute un autre cambiste, «arrange les cambistes du square», dont les fournisseurs demeurent dans l'anonymat. A la question de savoir qui sont les fournisseurs, nos interlocuteurs changent de ton. «Nous n'avons plus rien à vous dire ! Quittez les lieux !», nous lancent-ils. Aussitôt, des individus sortis de nulle part arrivent pour nous inviter à quitter les lieux en formulant des menaces. Ils sont quelques dizaines que les cambistes payent pour faire le guet ou pour dissuader les fauteurs de troubles ou autres braqueurs. Plusieurs cambistes exhibaient, hier, les liasses de billets. B. L., un jeune aux yeux scintillants, nous indique que «le marché parallèle est conditionné par la demande mais également par les exportations illégales de devises vers l'étranger». A ce sujet, lance un autre cambiste, «tous les jours que Dieu fait, des personnes activant dans le contexte de la contrebande arrivent à passer les frontières aériennes ou terrestres en possession de fortes sommes de devises», ajoutant que «ces personnes bénéficient, dans la plupart des cas, de la complicité de douaniers ou autres policiers qui empochent quelques billets en contrepartie de leurs silence». Nous sommes obligés de quitter les lieux devant la menace qui plane car, un peu plus loin, des individus nous dévisagent et chuchotent en nous regardant. De véritables bureaux de change parallèle Nous sommes accueillis par un de ces cambistes qui, bien entendu, nous demande de taire tout indice pouvant conduire à son identification. Dès l'entame de la conversation, le jeune D. G. nous fait savoir que «beaucoup de bureaux similaires existent à Alger et dans les autres grandes villes». Très au fait de spéculations monétaires, voire des variations exercées au niveau des Bourses, il nous indique que «même le billet vert, le dollar américain, a connu une légère baisse», précisant que «cette situation est favorable aux spéculations étant donné que la grande majorité des preneurs sont des personnes exerçant dans le commerce parallèle». Dans la foulée, il nous apprend que «le 28 mars de cette année, l'euro était à 10,34 puis a atteint les 11,93». Tout en discutant, le jeune D. G. nous explique que «l'allocation touristique arrêtée par l'Etat et qui est de l'ordre de 130 euros (achetés à 15 000 DA dans le cours officiel des banques et à 16 575 DA au marché parallèle) nous arrange. Car hormis les affairistes ou commerçants du cabas qui demandent des sommes allant jusqu'à 100 000 euros, les touristes viennent tous les jours acquérir entre 200 et 300 euros supplémentaires et nécessaires à leur visite en familles ou seuls». Allant plus loin dans ses révélations, il nous indique que «bien que le taux des devises que nous appliquons est bien plus élevé par rapport aux taux appliqués par les banques, les clients de toutes les catégories affluent et parmi eux figurent des personnalités exerçant au sein des Institutions de l'Etat». D'autres cambistes nous indiquent dans ce sens que «la plupart des fournisseurs de devises occupent des postes dans des sphères insoupçonnées de l'Etat. Pour ne pas s'impliquer, ils chargent des intermédiaires pour le transport des fortes sommes». «Le monde du cambio parallèle est très complexe et est financé par des personnalités ayant des accointances avec des personnes influentes résidant à l'étranger», nous fait-on savoir. Un jeune tient à souligner en ces termes : «Le dinar n'a pas de valeur en Bourse, mais il achète toutes les devises !»