Tout magistrat est tenu, en ayant en face un inculpé d'abus de confiance, d'escroquerie, de réclamer les preuves et les témoins pour pouvoir juger en toute équité et éviter de piétiner la liberté des justiciable. Oui, la présidente hésitante a tranché sur le siège en fin d'audience car il y a d'un côté une entreprise partie civile qui ne veut pas lâcher Kamel M. que les témoins n'ont pas enfoncé ni délivré. Et dans ces dossiers où la brume plane, les magistrats font beaucoup d'efforts pour ne pas franchir le rubicond ou, pis encore, expédier un innocent en taule alors que les preuves font du bruit par leur absence. Il est vrai que pas mal de victimes adorent aller à l'intime conviction des juges. Mais l'intime conviction ne vaut que lors des sessions criminelles avec trois juges pros et deux jurés tirés au sort. Mais nous sommes très loin de la criminelle. Et Radja Bouziani n'a ni l'âge ni la lourde expérience pour s'arrêter à l'intime conviction. Alors, mise en examen, délibéré, réflexions, appelons tout ce chapelet comme l'on voudra, dans ce dossier, il n'y a pas de preuves. Il n'y a pas des concordances. Radja Bouziani, la présidente de la section correctionnelle d'El Harrach, avait un dossier d'abus de confiance. Un employé est dans de beaux draps... blancs. La cause ? Les témoins qui avaient défilé à la barre ne savaient pas tous ce qu'ils avaient vu. Et les témoins dans une telle affaire sont intéressants dans la mesure où Kamel M. est détenu car le préjudice semble énorme pour l'entreprise partie civile qui ne veut pas lâcher prise. Les débats, menés sereinement par cette jeune magistrate, sont peut-être pâles, mais tout de même prenants. Les questions-réponses pleuvent à gogo car ce genre de juge n'a pas l'habitude de présider une audience avec complaisance. Le pénal, c'est du sérieux, du solide. C'est pourquoi le détenu n'a pas beaucoup à souffrir de ces lourds débats dont l'issue doit laisser Bouziani vigilante et attentive, ce qui n'est pas drôle. C'est que l'abus de confiance, fait prévu et puni par l'article 376 du code pénal, est un intitulé qui a ses balises, les preuves, il n'y aucun nuage ni zone d'ombre qui puisse s'y glisser. Voyons un peu les termes de cet article 376 qui dispose que «quiconque de mauvaise foi détient ou dissipe au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des effets, marchandises, billets, quittances ou tous autres écrits qui lui ont été remis à titre de prêt ou pour un travailleur salarié ou non salarié, est coupable d'abus de confiance et est puni d'un emprisonnement de trois mois à trois ans et d'une amende de 500 à 2000 DA». Et selon les questions posées, nous avions alors les réponses sur lesquelles trébuchent les termes de l'inculpation, car il faut souvent le répéter, le tribunal, il lui faut des preuves, pas des paroles. Seul, depuis le pupitre du ministère public, Mohamed Al Marich, le représentant feuillette le code pénal et attend le moment de dire l'avis de la loi au nom de qui il aura l'occasion de réclamer une peine de prison ferme de deux ans ferme ! C'est dire que dans ce dossier, l'abus de confiance doit être prouvé. On n'expédie pas les gens en geole pour un oui ou pour un non. Le parquet est à pointer du doigt car lorsqu'on requiert un à deux de prison, on doit, par respect à la loi et à la société, ramener sous les yeux de Bouziani Radja un dossier où il n'y a aucune couleuvre à avaler. Cette frêle juge a un mental d'acier, et grâce à son ambition, elle évite les débordements, les piétinements des lois et procédures, elle est toujours à l'écoute des parties en présence, s'éloignant des incidents d'audience, ne prenant aucun risque pour jouer avec la liberté des gens. Mince, alors ! Toutes ces qualités ont fait que devant un tel dossier, elle a préféré prendre du recul, mettre l'affaire en examen le temps qu'il faudra avant de décider du sort de Kamel M. qui a alors eu une lueur dans les yeux en lançant le dernier mot : innocent !