Kamel Hansali est au volant de sa camionnette lorsqu'il est pris à défaut par les éléments de la police judiciaire vigilants sur nos routes, pas seulement pour l'excès de vitesse, la conduite en état d'ivresse ou encore un portable collé à l'oreille. La vérification des papiers aussi permet des surprises. Et cette fois, la surprise est que la carte grise que les gendarmes avaient crue fausse, ne l'était pas. Et ce rôle de l'erreur des enquêteurs est dévolu à l'avocate qui a vivement protesté auprès du tribunal car le magistrat instructeur n'avait pas pris la précaution d'envoyer le document pour expertise. Donc, il n'y a pas de délit. Les poursuites sont un simple dépassement. La relaxe est exigée. D'emblée, juste après avoir pris acte des demandes du procureur : trois ans de prison ferme pour faux et usage de faux, maître Mallia Bouzid-Adnane, l'avocate de Kamel H., la cinquantaine, s'approche du pupitre de la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Hadjout (cour de Blida) et sourit à l'intention du tribunal et de son client pris avec une fausse carte grise de sa vieille camionnette bonne à traverser les pistes de Hadjout et sa région. Elle redresse les manches de sa robe noire et dit : «Je ne vais pas avoir la prétention de vous apprendre que le faux et l'usage de faux appellent deux conditions : l'aveu de l'inculpé ou une expertise en bonne et due forme. A défaut, rien.» «Madame la présidente, je me demande aussi dans quelles conditions mon client a été interpellé. Les zones d'ombres, les points d'interrogation assombrissent les horizons de tout dossier mis sous le nez d'une juridiction. Comprenons par là que la liberté des gens ne peut jamais être comprise pour un oui ou pour un non», balance à haute voix l'avocate de Chéraga qui va pousser le champignon plus loin : «Peut-être qu'à la décharge de nos braves militaires, il y avait ce jour-là trop de contrôles, d'où la bévue.» Elle se retire légèrement en arrière avant d'élever le ton et réclamer la relaxe pour cet innocent, ce père de famille qui n'a rien à se reprocher, absolument rien, puisque sa carte grise est saine et n'a jamais fait l'objet d'une quelconque manipulation et encore moins de falsification. Kamel H., lui, était «out». Il n'avait rien compris depuis le geste du gendarme qui l'avait invité à stopper, garer, le salut de ce même gendarme qui avait examiné le document officiel avant de lui signifier l'interpellation, la présentation, l'audition au parquet, l'inculpation et enfin la prise de connaissance de la date du procès. Et comme pour féliciter à haute voix (elle aussi) l'avocate, la présidente laissa échapper : «Eh ben, maître, voilà ce qui s'appelle dire peu et bien. Le tribunal vous remercie. Il se retire pour la mise en examen et l'annonce du verdict sous peu.» L'avocate blonde eut la face rougie par ce gros compliment. La juge se retire et revient avec le verdict attendu et qui allait faire des heureux. «Kamel Hansali est relaxé car il n'y a pas eu de faux ni d'usage de faux», rumine la juge qui passera à la suite du rôle un rôle pas possible ce lundi, comme tous les lundis à Hadjout d'ailleurs, car Hadjout n'est plus depuis longtemps ce bourg qu'avait quitté Mohammed Cherif Ould El Hocine pour le maquis, il y a de cela plus d'une demi-siècle.