Quand est-ce que vous exposerez en Algérie ? Comme vous, je ne le sais pas encore. Exposer en Algérie reste une question sans réponse. L'envie de le faire est présente en moi et grandit au fil du temps. Dans ma situation, je me trouve dans un engrenage professionnel où rien n'est faisable d'une manière spontanée. Tout doit se planifier avec des délais importants. Je ne peux pas et aussi je ne veux pas jouer des rôles qui ne sont pas les miens, c'est-à-dire être l'organisateur de mes expositions. Je perdrais un temps interminable au détriment de ce qui est le plus important pour un artiste : la création. Mais si les possibilités se présentent à moi, je me ferai un grand plaisir de venir en Algérie partager ma passion avec les miens. Vous avez réalisé plusieurs œuvres sur l'histoire de l'Algérie et des portraits de grandes personnalités, telles que l'Emir Abdelkader. Vous venez de faire un autre tableau sur cette même personnalité avec une autre vision. Qu'est-ce qui vous fascine chez lui ? Je ne suis pas le seul peintre à être fasciné par la personnalité de Abdelkader, d'autres artistes l'ont portraituré bien avant moi. Cependant, selon l'époque et les appartenances ethniques de chacun, l'approche et l'intérêt diffèrent d'un peintre à un autre. Abdelkader n'est pas un sujet exotique ou orientalisant en ce qui me concerne. Cela est une autre histoire. Je regarde le personnage d'une manière objective. Toute une nation s'identifie à travers la personnalité de l'homme historique qu'il est. C'est un des pères de l'Algérie. Il est le fondateur d'un Etat moderne et fédérateur. Le colonialisme et l'injustice de l'envahisseur sur l'envahi ont fait de Abdelkader un grand homme d'Etat. Mais ce qui me fascine le plus chez lui, c'est sa perception du monde moderne, alors qu'il était élevé et formé dans la rigueur du conservatisme religieux. Cependant, on savait qu'il était attiré par la technologie grandissante de l'époque. Il voulait tout savoir sur ce domaine et il en nourrissait un optimisme pour l'amélioration du monde du travail et de la vie en général. Incontestablement, il était en avance sur ses concitoyens et ses contemporains du monde musulman. Par son attitude devant ce monde moderne, que d'autres trouvait menaçant, il a révélé une grande sensibilité savante. Ce qui m'a le plus frappé chez lui, c'est son goût pour l'esthétisme ; il ne voyait surtout pas d'inconvénients quant à la figuration du visage humain dans l'art ou dans la photographie. Pourtant ces deux domaines étaient tout à fait nouveaux dans sa vie. Même à notre époque, il reste un exemple de tolérance et d'ouverture d'esprit. Il donne encore des leçons de clairvoyance et d'intelligence aux tenants de l'obscurantisme d'aujourd'hui, qui compliquent la vie de beaucoup de braves gens. Nous avons remarqué ces dernières années que vous réalisez des œuvres beaucoup plus sociales et à grande sensibilité «comme celui de la fillette qui joue sur le sable». Est-ce vos futurs sujets ? Jusque-là, une grande partie de mes œuvres répondait à une motivation plutôt poétique que narrative. Cela explique mon intérêt pour des sujets comme la nature morte ou les scènes de désert. Ce sont des thèmes de jeunesse qui ne cessent de m'accompagner alors qu'avec l'âge, j'ai envie de retourner vers l'homme et sa condition. Je voudrais porter un autre regard un peu psychanalytique, si j'ose dire, sur mes contemporains et la société que nous composons. C'est de la critique et de l'autocritique, c'est aussi une autre manière de témoigner de mon époque. Nous avons remarqué que plusieurs personnes ont repris vos œuvres, notamment dans les calendriers, qu'en pensez-vous ? Vous abordez une question qui touche une situation très grave. J'ai envie de dire, haut et fort, que ce problème de contrefaçon fait honte à toutes les institutions censées respecter ou faire respecter la loi relative aux droits d'auteur. Par ce constat, la fiabilité et l'utilité de l'Office national des droits d'auteur sont mises en cause. Cela reflète le laxisme et le manque de sérieux, voire l'incompétence de certains fonctionnaires dont la qualification est suspecte. Si vous permettez, je m'arrête là, je reviendrai sur ce thème à une autre occasion et plus longuement. J'en ai des choses à dire. Vous avez eu plusieurs prix à l'étranger mais pas en Algérie, comment expliquez-vous cela ? Je ne le prends pas comme un cas problématique, même s'il y a anomalie en la demeure. Je vous affirme que je n'ai pas besoin aujourd'hui d'être mis à l'honneur pour avancer dans ma vie professionnelle. Mes œuvres ont leur place d'honneur, et cela me suffit. L'Algérie m'a largement honoré. J'ai déjà reçu un prix de l'ancien président Chadli, à l'orée de ma carrière quand j'en ai eu vraiment besoin. Cela m'avait aidé à m'affirmer en tant que jeune. Par la suite mon pays a continué de m'honorer à travers ses institutions. Cela se traduit par des actes plus éloquents que les diplômes d'honneur ; je pense notamment aux nombreuses acquisitions de mes œuvres par l'Etat. Un autre prix m'a fait plaisir en tant qu'artiste autodidacte, celui de l'Académie de beaux-arts de Paris. Pour moi, c'est une réponse cinglante à ceux qui perçoivent, à tort, d'une manière péjorative les autodidactes. En outre, l'Académie internationale des beaux-arts du Québec m'a fait académicien, ce n'est pas de l'arrogance, mais je n'en fais pas mon cheval de bataille. Mon seul atout est le labeur, et je tire ma difficile satisfaction du travail accompli. Je préfère que l'on encourage les jeunes dont la carrière est incertaine et qui ont besoin d'affirmation. Une de vos œuvres va être exposée en Afrique du Sud, dans le cadre de la Coupe du monde, qu'est-ce que cela représente pour vous ? Il y a mille façons de représenter ou de faire parler de son pays, positivement bien sûr. Les moyens sont multiples : sport, culture, politique, etc. L'Algérie sera présente aux phases finales de la Coupe du monde de football. Mais en Afrique du Sud on parlera de l'Algérie certes, pas seulement à travers les footballeurs ; ses artistes peintres aussi la représenteront et lui donneront la parole. C'est une chose formidable pour le pays. Ce projet de réunir, à travers leurs œuvres, des artistes des pays qualifiés à la prochaine Coupe du monde de football est un événement rare et grandiose. Les organisateurs de 2010FineArt et la FIFA ont eu une idée géniale : faire jouer les formes et les couleurs à l'instar des festivités footballistiques. Il y aura une exposition des œuvres originales en Afrique du Sud, pays organisateur, parallèlement à cela se tiendront des expositions simultanément à travers les 32 pays avec, cette fois-ci, des copies des œuvres. Pour cela, les organisateurs ont fait appel à 160 artistes peintres, cinq représentants par pays. Nous sommes donc une équipe algérienne de cinq artistes, pas onze comme nos footballeurs, à être engagés comme dans une compétition pour représenter notre pays aux côtés des 31 autres nations. J'ai eu l'honneur d'être le «sélectionneur» et de composer cette sympathique équipe. Les cinq «amigos» sont Noureddine Zekara, Rachid Djemaï, Layachi Hamidouche, Tahar Ouamane et moi. Chacun de nous contribue, par ses particularités artistiques, à faire valoir et montrer quelques facettes de l'Algérie culturelle. Quels sont vos projets ? Le projet d'un artiste est le même, quel que soit le stade de sa carrière ou l'époque qu'il traverse, c'est de courir derrière sa prochaine œuvre. Après la dernière, il entame une autre, qu'il veut mieux conçue, mieux représentative. Mais celle-ci est toujours farouche. A mon avis, tout artiste n'est jamais définitivement satisfait de l'œuvre accomplie. Et si vous voulez des projets plus concrets, je peux vous dire que je suis en train de réaliser, entre autres, des toiles de grand format sur notre histoire nationale, notamment Jugurtha et Fatma n'Soumeur, qui font partie d'une collection de l'Etat aux côtés du dernier portrait de Abdelkader et de la reine Tin-Hinan.