La vieille Halima est une âme de grande générosité. Oh, elle n'a pas les moyens, encore moins la prétention de venir à bout de la misère du monde. Elle fait juste un geste, plus proche du partage convivial que de la charité ordonnée. Halima est pieuse, mais elle n'en fait pas trop, comme on dit. Plutôt décontractée, elle est de ceux qui entretiennent ce rapport apaisé à Dieu, fait d'une sereine spiritualité et de liens utiles. Elle ne peut certes rien contre les misères du monde, mais elle n'a jamais vécu de difficultés majeures. En dehors des exactions et des privations de la guerre, mais celles-là, elles les revendiquent avec fierté, Halima a eu une vie plutôt confortable. Elle a été institutrice pendant les premières années de l'indépendance, avant de décider, d'un commun accord avec son mari, d'arrêter le travail et se consacrer entièrement aux enfants qui commençaient à devenir nombreux. Et les enfants, elle s'en est bien occupée. Ils ont réussi leurs études, ils ont tous volé de leurs propres ailes, fondé de chauds foyers et, reconnaissants, ils ne manquent jamais de sollicitude à l'égard des parents. Halima et «son vieux» Bachir, à la retraite depuis longtemps, écoulent maintenant des jours paisibles dans leur vieille maison coloniale de la côte ouest d'Alger. Les enfants, filles et garçons, qui s'inquiétaient sur sa santé désormais fragile et ses capacités physiques à entretenir encore la maison, elle répondait systématiquement : «Quand je ne pourrais plus nous prendre en charge, c'est moi qui vous le dirai.» Halima sait faire beaucoup de belles choses, mais ce qui fait sa réputation, c'est sa galette. Des amis et des parents qui ont eu la chance d'en goûter, lui ont même suggéré d'approvisionner des restaurants huppés dont les propriétaires mettraient sûrement le prix fort. Elle en a ri de bon cœur : «Vendre ma galette… !» A l'orée de chaque moi de Ramadhan, Halima se fait une consistante provision de semoule et dès le premier jour de jeûne, elle s'installe dès les premières heures de la matinée devant son tajine, pétrit et cuit des dizaines de galettes et appelle la petite fille des voisins qu'elle charge d'en distribuer à toutes les maisons proches. Les voisins y sont habitués, mais s'ils apprécient le geste de la vieille et le goût de la galette, ils lui ont souvent fait le reproche de se fatiguer pour eux à son âge. Un jour, un nouveau riche est venu s'installer dans le quartier et ouvrant la porte à la petite fille qui tenait une galette à la main, il avait bien évidemment cru qu'elle la lui proposait à la vente. Ce qui, pensait-il, lui donnait le droit de la sermonner d'avoir sonné à sa porte. Revenue en pleurs chez la vieille Halima, elle lui avait raconté les faits, en étouffant ses sanglots. Choquée, elle a réconforté la pauvre enfant, avant d'aller voir le monsieur. En apprenant que la petite ne venait pas lui vendre la galette, mais la lui offrir, l'homme a piqué une crise encore plus violente : «M'offrir de la galette à moi… C'est encore plus grave que de me la proposer à la vente !!!» Pour seule réponse, il a eu ses mots de Halima : «Oui, c'est plus grave que je ne le pensais.» Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir