La diplomatie chinoise a vu tout pourpre, qualifiant d'«obscène» le fait d'attribuer le prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo. On ne distingue pas un opposant qui doit suivre une «rééducation politique» pour les onze années à venir, derrière les barreaux. Il faut qu'il apprenne, une fois pour toutes, que toute réforme politique est synonyme de déséquilibre démocratique que l'Occident ferait exprès de réclamer pour que, sur l'échiquier mondial, l'équilibre des forces lui soit le mieux favorable. La démocratie, telle que conçue et importée de l'Ouest, n'est bonne pour personne. Pas mieux que celle que le gouvernement de Pékin a appris à « fabriquer» sur place, au fil de son impérissable pouvoir communiste. Sauf que cela ne refléterait pas exactement l'idée que se fait l'actuel Premier ministre chinois, Wen Jiabao, de la démocratie. Plus occidentale, sa vision des choses ne pèserait pas lourd devant celles des sept autres membres du bureau politique du parti communiste. Le chef du gouvernement chinois sera-t-il prié, à l'avenir, de s'occuper de la guerre des changes - nouvelle arme économique - qui va encore opposer la Chine populaire aux Européens, laissant le choix en matière de démocratie à ceux qui croient qu'il est impératif d'emprunter les seules routes nationales ? L'empire du Milieu sait ce qu'il lui reste à faire pour ne pas se laisser marcher sur le corps. Il ne peut rester inerte face à ce geste inamical de la Norvège qui, en plus d'avoir attribué le Nobel de la paix à Liu Xiaobo, a félicité le signataire de la charte 08. Ainsi, convoquer l'ambassadeur de Norvège ne saurait constituer une réponse suffisante à ce que le comité Nobel vient d'infliger comme «déshonneur» aux autorités de Pékin. Car, derrière la volonté d'Oslo de toucher du doigt la sensible question des droits de l'homme en Chine, c'est tout le bloc occidental qui a réussi à intenter un « procès» au gouvernement de Pékin, sans voir s'abattre les flammes du dragon. Après tout, les sages du comité Nobel sont libres de leur choix. «Bien planqué» derrière, le collectif de défense occidental n'a plus qu'à exiger une libération immédiate du dissident chinois. C'était sans compter avec Hillary Clinton, la patronne du Département d'Etat qui a dû tant songer à une pareille revanche en règle : si la Chine populaire a réussi des miracles économiques, en matière de réformes politiques elle demeure à la traîne. Et si le prix Nobel de la paix a été délibérément attribué, ou non, à Liu Xiaobo, c'est justement pour rappeler à l'empire du Milieu qu'en ce qui concerne la démocratie et les libertés il n'est pas à la bonne page. Et qu'il devrait encore en tourner des centaines pour qu'il soit admis au club des grandes démocraties… occidentales. Et s'il venait à réévaluer rapidement son Yuan, à accepter l'indépendance du Tibet, à se séparer de l'île de Taïwan et à passer commande chez Boeing…, atteindra-t-il la fameuse page plus vite que le souhaitent les Occidentaux eux-mêmes ? Pour acheter la paix démocratique, la Chine consommatrice et gourmande (à chacun son époque) est enjointe de freiner ses appétits. En fait, à apprendre à partager tout ce qui pourrait l'être ou le devenir. Sur les 100 milliards de dollars d'investissement en Afrique, par exemple, elle aurait dû penser à ses partenaires occidentaux, réduits à se mordre les doigts. Quant au sommet Europe-Asie, qui vient de se tenir à Bruxelles, il aurait mieux fallu mettre la main dans la main pour sauver le vieux continent de la dérive, au lieu de continuer de s'opposer à la croisade de Nicolas Sarkozy au bénéfice d'une profonde réforme du système monétaire mondial. Plus que jamais, la Chine connaît le prix à payer pour s'offrir la paix démocratique.