A l'entrée de la vieille cité, tout semble en ruines, si ce n'est les âmes qui continuent, tant bien que mal, de vivre. De la boue stationnaire sur les abords des petites allées est emportée par les eaux pluviales, des flaques d'eau défigurent les quelques places réservées à la rencontre des habitants et des maisons entières menacent effondrement à tout moment. C'est l'image de la Casbah en ces temps automnaux. «Il a suffi de quelques gouttes de pluie pour que je rate deux journées de travail. Je dois couvrir le toit de la maison à l'aide d'une bâche pour éviter les infiltrations. Puisque les services concernés ont visiblement d'autres chats à fouetter», lance Sid Ahmed, habitant de la Casbah. «Le taux important d'humidité, les infiltrations par les toits et les murs, les crues d'eau qui se déversent de haut en bas de la cité et la stagnation font que nos maisons sont inondées tout au long de l'hiver», ajoute Moussa. Cette ancienne belle cité s'engouffre sous l'eau à chaque forte pluviométrie. Des maisons inondées, des magasins submergés et les accès pratiquement fermés. La situation qu'endurent les résidents dure depuis des lustres, malgré les efforts des services communaux qui tentent, pelle et pioche, de rendre le lieu vivable. «Le bricolage des services de la voirie ou des travaux publics ne peut plus durer et ne peut plus tenir face à la dégradation avancée de la cité. Qu'on nous donne des logements décents», fulmine Mouloud. Sofiane et ses amis étaient vendeurs à la sauvette à la place des martyrs, habitent tous La Casbah et des quartiers environnants. Ils étaient cinq jeunes ne dépassant pas la trentaine qui étaient à pied d'œuvre. La maison des parents de Sofiane (deux chambres et une cuisine) abrite six membres. Elle date de l'ère ottomane et risque de s'effondrer à la première secousse tellurique. «Nous couvrons le toit de la maison avec ce nylon pour éviter le pire, car à l'intérieur de la maison on se croirait dans un champ à cuvettes» ironise-t-il. Et à son ami de reprendre : «On fait du volontariat, demain ou ce soir c'est notre maison que nous allons couvrir et que nous allons renforcée avec des chevrons pour créer une pente et éviter la stagnation de l'eau qui pourrait être fatale». Sid Ali est aussi concerné par cette opération d'«habillage» de sa maison. A quelques ruelles de là, Sofiane aperçoit Aâmi Mourad, un des gardiens du temple et il l'invite à prendre part à notre discussion. «Aâmi Mourad a l'âge de la Casbah, il peut vous raconter tout», informe le jeune d'un air rieur. D'emblée le vieux commente : «Et voilà ! C'est le signe de l'arrivée de l'hiver, suspendez des pierres aux extrémités de la bâche pour former la pente et éviter que le vent l'emporte». En fin connaisseur des astuces pouvant prémunir les habitants de la Casbah des aléas de l'hiver, Aâmi Mourad oriente pas à pas les jeunes. Avant de commencer à nous raconter les péripéties des «Ouled el Casbah» durant l'hiver. «À chaque saison hivernale nous retapons ce qui reste à retaper de nos maisons, la Casbah meurt à petites gouttes de pluies année après année sous le regard passif des autorités», a-t-il avoué. Et d'ajouter : «Nous demandons juste des matériaux de construction et nous ferrons le reste, mais de là à laisser une cité pareille à l'abandon, cela relève de l'inconscience des autorités, je parle notamment des collectivités locales qui font la sourde oreille malgré les doléances des habitants». Durant la saison hivernale, la Casbah souffre plus que les autres quartiers, car doit-on le rappeler, cette cité est non seulement un quartier habité mais surtout un site historique de grande valeur. Hiver comme été, la Casbah et les autres sites de la capitale souffrent des coups de colère de dame nature, mais surtout de la passivité et de l'inconscience des autorités.