C'est le genre de document que les communicants institutionnels n'aiment pas intégrer dans la revue de presse servie quotidiennement au patron. Ainsi en est-il de l'interview accordée hier par la secrétaire d'Etat (française) à la Ville au Parisien. Fadéla Amara brosse un profil peu flatteur de François Fillon. Donnée partante du gouvernement, la secrétaire d'Etat à la Ville épingle son chef. Et l'accuse, sans autre forme de procès, de porter un regard indifférent à la France d'en bas, celle des banlieues et des cités. «Entre le notable bourgeois de la Sarthe (contrée dont le Premier ministre est maire, ndlr) et la banlieue, il y a une grande différence», tonne la militante associative élevée dans une famille immigrée du côté de Clermont-Ferrand. Les propos de la fondatrice de l'association «Ni putes si soumises» résonnent sur fond de contestation sociale interminable et d'informations sur un remaniement ministériel imminent. Fadéla Amara «vote» à sa manière, en conduisant François Fillon vers la porte de sortie. S'il appartient – de par la Constitution – à Nicolas Sarkozy de décider, le moment venu, du nom du prochain locataire de Matignon, Fadéla Amara a déjà fait son choix. «(…) Moi, je suis cash.» Pour les dossiers inhérents à la politique de la ville, la ministre «beur» a un «meilleur» candidat au poste. C'est Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat chargé de l'Energie, de l'Ecologie, du Développement durable et de la Mer. «Il est fédérateur, intelligent et très besogneux, contrairement à la réputation qu'on lui fait. Et surtout, il a une humanité plantée dans le cœur.» François Fillon, le «bourgeois de la Sarthe», appréciera le remaniement version Amara. Troisième femme d'origine algérienne à occuper un poste ministériel dans la France d'après-guerre d'Algérie (1), Fadéla Amara n'a jamais été en odeur de sainteté avec le locataire de Matignon. Périodiquement, la chronique médiatique hexagonale bruisse de rumeurs sur son départ de l'exécutif et de l'échec avéré de son action gouvernementale. Ministre de «l'ouverture» – désignation par Nicolas Sarkozy de personnalités issues de la gauche à des postes importants – Fadéla Amara y siège depuis fin 2006. Créditée par ses adversaires d'un échec patent, elle leur oppose un bilan aux accents de performance. «En trois ans, beaucoup de choses ont été entreprises alors que les actions précédentes n'ont été que du saupoudrage (…) la rénovation urbaine est très avancée, avec des coups de pioche partout et 500 quartiers en chantier. On a détruit de vieilles barres d'immeubles, on en a reconstruit d'autres.» Secret de polichinelle, la «beur» du gouvernement Fillon s'attelle à une action que d'aucuns dans le paysage politique français n'hésitent pas à accompagner. En particulier dans les bureaux du Premier ministère à l'Hôtel de Matignon. Bruits de couloirs et confidences des rédactions évoquent des rapports conflictuels avec des membres du cabinet de François Fillon. La ministre confirme et assume le fait de ne pas être en phase avec les collaborateurs du Premier ministre. «La politique de la ville, ça ne leur parle pas. C'est loin de leur réalité. La plupart sont des nantis, des jeunes qui ont fait les grandes écoles sans jamais avoir de soucis. Ils ne comprennent pas qu'en France certaines personnes peuvent avoir du mal à terminer les fins de mois. Résultat, je dois me battre pour défendre des projets.» Affirmant tout haut ce que bien des quadras murmurent à l'abri des portes capitonnées des cabinets ministériels et des grandes sociétés, Fadéla Amara se laisse aller à un propos à rebours du politiquement correct. «Nous sommes un pays élitiste. Donc, si vous sortez des quartiers populaires et que vous vous hissez dans des endroits qui ne sont pas inhabituels, certains vous le font sentir.» Salim Kettani (1) Première à œuvrer sous les ors de la République, Tokia Saïfi, nommée secrétaire d'Etat chargée du développement durable durant le second mandat de Jacques Chirac. Nora Berra s'occupe du département des personnes âges dans l'actuel cabinet.