Dans les années 1960, le plastique est à la mode, conquérant, il représente autant l'avenir que la modernité. Les bas nylon étincelants, les dentelles en perlon, les brillantes robes de polyester embellissent les femmes. Dans les cuisines, une vaisselle en plastique multicolore remplace la fragile et coûteuse porcelaine, le formica rivalise avec le bois. Avec la popularisation du plastique, événement industriel autant que métaphysique, l'homme transcende la matière grâce à la chimie, invente un man made material plus résistant que le bois, plus léger que l'acier, plus souple que le caoutchouc, et qu'il peut modeler à sa guise. Une nouvelle «substance alchimique» qui permet de créer mille objets sans être coûteuse. «Pour la première fois, l'artifice vise au commun, non au rare. Le monde entier peut être plastifié.» Bien plus, hélas ! Le monde va être plastifié jusqu'au fond des océans. Au printemps 1997, un navigateur anglais traverse par hasard le lent tourbillon subtropical du Pacifique Nord. Soudain, voilà son bateau entouré d'une quantité de bouteilles en plastique, brosses à dents, sacs, casquettes, jouets d'enfants, dérivant dans le sens des aiguilles d'une montre. Il vient de découvrir «la grande zone de détritus du Pacifique» (the Great Pacific Garbage Patch), aujourd'hui tant décriée. En août 1998, il retourne sur place avec un chalut pour prélever des échantillons. Il estime à l'époque que ce «vortex de détritus» est constitué d'environ 3 millions de tonnes de déchets en plastique. Le sixième continent A l'automne 2006, le bateau de Greenpeace Esperanza fait un nouvel état des lieux. En route, l'équipage découvre que les plages de Hawaï, à la périphérie du tourbillon, sont jonchées de plastique : bouées, casiers à poissons, balles de golf, briquets, bouteilles, casques d'ouvriers, jerricanes, boîtes diverses, caisses de bière, pots de fleurs, enseignes, fusibles, blocs de polystyrène, couvercles, rasoirs jetables, boîtiers de CD, etc. Si les océans et les mers ont toujours été une poubelle de choix pour les hommes - on y jette 675 t d'ordures chaque heure -, leurs eaux et les algues finissaient par dégrader et annihiler les détritus. Mais pas le plastique. Aujourd'hui, la grande zone de détritus du Pacifique est estimée à la taille de l'Etat du Texas, voire de l'Europe centrale - d'où son surnom : le «sixième continent». Le plus inquiétant est invisible Chaque objet, peu à peu, se fractionne jusqu'à former des granulés microscopiques indestructibles. Les poissons les ingèrent, ce qui les empoisonne ou perfore leur système digestif. Des expertises ont conclu qu'il est à présent impossible de venir à bout du «vortex». Le coût en serait astronomique, il faudrait une alliance entre plusieurs Etats, mais aucun n'est prêt à engager de tels frais. Toutefois, il existe plusieurs solutions alternatives à l'universel plastique. Beaucoup d'écologistes et d'associations appellent au retour du verre pour l'emballage des aliments et des produits pour bébés, au remplacement des innombrables sacs en plastique par des sacs en papier recyclable et recyclé. Mais, surtout, le plastique biodégradable, fabriqué à partir de ressources renouvelables (maïs, pomme de terre, patate douce, blé, canne à sucre, etc.) ou de pétrole, semble constituer la solution de rechange à l'indestructible matériel. Pour espérer vivre demain dans un monde… durable.