Pour la crise du lait, le plus dur est passé. Une petite virée dans la région de Khemis Miliana et de Aïn Defla, à l'ouest d'Alger, nous renseigne sur la disponibilité du lait pasteurisé. Au niveau de ces deux villes, le sachet de lait vendu à 25 dinars est étalé sur les trottoirs jusqu'à des heures tardives de la journée. Les citoyens n'ont plus besoin de se lever tôt pour faire des queues interminables ou encore chercher ce produit de première nécessité dans les villes limitrophes. Un effort considérable a été déployé par les unités de production de lait pasteurisé des secteurs public et privé pour combler le déficit enregistré ces dernières semaines. La région du haut Chélif dispose de tous les atouts pour réussir le développement de la filière lait. La volonté y est et les bonnes idées ne manquent pas. Il reste juste une petite attention de la part des concernés pour faire de cette région un modèle. Bouzekrini, un producteur qui progresse «Je n'aime pas la poudre et la fabrication du lait pasteurisé. Moi, je suis un éleveur d'abord. J'adore le lait cru. Le lait de vache. Il est bon, nutritif et précieux», a déclaré Mourad Bouzekrini, propriétaire de la laiterie Waniss, située à Khemis Miliana qui a une longue histoire avec le lait. Il parle avec beaucoup de nostalgie de ses débuts dans l'élevage. Une activité que sa famille a entamée depuis 1975. «C'était bien. Nous avions 25 génisses. Nous produisions 500 litres par jour. Nous travaillions avec cinq collecteurs de la région pour atteindre 4000 litres/jour, que nous versions à l'unité de l'ex-Onalait», explique-t-il. Ayant obtenu le 3e prix du meilleur producteur de lait au niveau national, M. Bouzekrini a toujours rêvé de travailler dans le lait cru. En 2000, il apporta sa propre touche à l'activité parentale lorsqu'il érigea une usine de pasteurisation de lait. «Le début a été difficile. Nous n'avions pas arrêté l'élevage, mais les quantités de lait que nous collections à cette époque étaient minimes vu qu'il ne restait que deux collecteurs sur les cinq avec lesquels nous avons toujours travaillé», ajoute-t-il. L'investissement réalisé par cet opérateur s'est élevé à 15 milliards de centimes. «En contrepartie, l'activité dans le lait cru a été quasiment abandonnée. J'ai dû verser dans le lait pasteurisé pour pouvoir rembourser mon crédit et surtout rentabiliser mon investissement. J'ai importé la poudre à raison de 1300 dollars la tonne et commencé le travail avec une production journalière de 80 000 litres/jour», indique-t-il. Les choses ont bien marché pour cet investisseur jusqu'à la perturbation survenue en 2007 avec la flambée de la matière première sur les marchés internationaux. «L'Onil a été réhabilité et a décidé de nous fixer des quotas en contrepartie de l'approvisionnement en poudre de lait. Le défi des pouvoirs publics a été de maintenir le prix administré du sachet de lait à 25 dinars. Pour ce qui me concerne, j'ai été autorisé à fabriquer 50 000 litres/jour». Gérer la crise avec les moyens du bord «L'Onil me fournissait un quota de 140 tonnes annuellement», explique M. Bouzekrini. Pour lui, cet état de fait, qui a été à l'origine d'énormes difficultés et contraintes, n'est que provisoire. «Mon rêve et mon souhait le plus cher, c'est de produire et commercialiser les produits à base de lait cru. J'attends une réponse de la part du ministère de l'Agriculture et du Développement rural à qui j'ai présenté une étude complète en 2008 sur le développement de l'élevage et du lait. Mon projet consiste à disposer d'une ferme de 1500 ha dans laquelle je mettrai mes 1000 génisses pour produire le lait cru. Je n'ai toujours pas eu une réponse à ma demande en dépit des multiples tentatives que j'ai faites auprès des concernés», affirme-t-il. Ce projet va lui permettre de jouir d'une autonomie totale. «J'arriverai à produire 15 000 litres/jour et je n'aurai plus besoin d'avoir recours à la poudre», ajoute-t-il. La laiterie Waniss assure actuellement l'approvisionnement du marché local en lait cru et en lait pasteurisé à base de poudre de lait. «Je produis 50 000 litres/jour de lait à base de poudre et je collecte 6 000 litres de lait cru que j'épure dans mon unité avant de les mettre sur le marché», précise notre interlocuteur. Waniss est aussi une belle ferme où se baladent des centaines de vaches laitières qui bénéficient de tous les soins. Une équipe de travailleurs veille au bon fonctionnement des étables et de l'unité de production. «Je possède 160 vaches laitières et 130 génisses dans une ferme de 45 ha seulement. C'est très peu pour l'élevage. Nous avons un gros problème d'exiguïté. L'organisation mise en place pour les différentes étapes est très rigoureuse. Autrement, je n'arriverais jamais à m'en sortir», nous explique-t-il. La ferme de Bouzekrini est partagée en plusieurs compartiments. Des étables abritent le troupeau. «Il y a l'étable des vaches en phase de reproduction, il y a celle des nouveau-nés, une partie pour les taureaux, une autre partie pour les vaches qu'on prépare pour l'insémination artificielle», nous a-t-il expliqué lors d'une tournée effectuée dans cette ferme. «Il faut écouter les producteurs» Nous ne sommes pas très loin de la crise qui a touché la filière marquée par la disparition du sachet pasteurisé des étals en raison d'une perturbation dans l'approvisionnement des laiteries en poudre. Pour Mourad Bouzekrini, la crise est due, tout d'abord, au fait que «les propositions émises par les producteurs de lait ne sont pas prises en considération dans les décisions prises par l'Onil». «Nous nous réunissons dans le cadre du conseil interprofessionnel du lait (CIL) où nous étudions la situation de la filière et nous émettons, après vote, des propositions à l'Onil qui ne sont pas du tout prises en compte», affirme ce producteur. Le propriétaire de la laiterie Waniss avoue qu'il y a un manque flagrant de lait cru sur le marché et une méconnaissance de la part du consommateur, ce qui explique d'ailleurs les pertes engendrées à cause des méventes. «C'est un produit méconnu de la majorité des personnes. Nous n'enregistrons de bonnes ventes que durant le week-end, et dans certaines régions où les gens se sont familiarisés avec le produit», a affirmé M. Bouzekrini. Pour lui, le détournement du lait cru vers les grandes industries qui les utilisent dans la production des produits dérivés est aussi une autre contrainte qu'il faut prendre en compte dans le traitement de ce sujet. Le facteur prix est pour beaucoup dans l'échec de cette politique. «On propose le sachet de lait cru à raison de 35 dinars. Les détaillants le cèdent à 42 dinars aux clients et parfois plus. L'Etat nous compte 30 dinars le litre en plus des 12 dinars de la subvention à l'éleveur et au collecteur. Cela cause des pertes à l'usine», a-t-il expliqué en regrettant le rejet de la proposition émise par les producteurs d'élever le prix à 59 dinars. Pour ce qui est du lait pasteurisé à base de poudre, M. Bouzekrini affirme que la crise a été difficilement gérable, mais cela ne l'a pas empêché de travailler et d'alimenter plusieurs régions durant une période très critique. «J'ai approvisionné les wilayas de Relizane, Médéa et Tissemsilt à hauteur de 80% des besoins en plus d'une petite quantité que j'assurais pour la wilaya de Aïn Defla. J'ai fait travailler mon unité 24/24 pour éviter la colère de la population. J'assurais le transport du produit avec mes propres moyens», a-t-il affirmé. Il dénonce la concurrence déloyale qui a régné pendant cette crise. «D'importantes quantités de lait pasteurisé ont été écoulées à Aïn Defla et Khemis Miliana à partir d'Alger. L'unité en question a aussi diminué le prix du sachet et a accordé des crédits aux vendeurs-détaillants pour qu'ils écoulent la marchandise», a-t-il affirmé. «L'Etat doit être plus présent» L'intervention de l'Onil dans la gestion de la répartition du lait est recommandée par le gérant de Waniss. «Je ne comprends pas cet état de fait : nous sommes deux laiteries à Aïn Defla, mais la région est desservie par des opérateurs d'Alger. C'est pour cela que nous sommes pour l'application du nouveau plan géographique qui va régler le problème», a-t-il indiqué. La crise du lait, même si elle a vraiment diminué, risque de perdurer encore quelques mois. «Pour promouvoir le lait cru, l'Etat doit mettre la main dans la poche en augmentant les subventions accordées aux éleveurs et collecteurs, en donnant des crédits et en octroyant des aides pour l'aménagement des étables», a-t-il ajouté. Pour ce qui concerne l'élevage, le producteur demande une subvention pour la synchronisation et un encouragement pour l'élevage des vaches.