Le site WikiLeaks a livré au grand public mondial, le plus large qui soit, un régal de scoops politiques puisés à bout de bras dans les archives à «ciel ouvert» du Département d'Etat, pourtant supposées mieux gardées encore que celles du Pentagone. Des révélations souvent troublantes qui ont mis mal à l'aise le gouvernement américain pour avoir émis des jugements et des opinions indiscrètes et déplaisantes sur des « amis». Des hommes politiques les plus médiatisés, aujourd'hui vexés au point de se demander s'ils ne s'étaient pas trop confiés, n'avaient pas trop parlé ou n'avaient pas été trop bavards, sur des sujets tant sensibles, avec des interlocuteurs irresponsables qui les ont présentés à travers des commentaires déplacés jusqu'à leur mauvais caractère et leur vie privée. Les «fuites» du département de Mme Hillary Clinton sont irréparables parce que les faits sont établis à partir de câbles, des messages diplomatiques, pas par des chuchotements de bouche à oreille selon la méthode choisie par Mourinho durant la partie Ajax-Real de Madrid. Les mis en cause n'ont d'ailleurs pas voulu faire de démentis, ni apporté des précisions à ces révélations scandaleuses. Ils ont tout juste montré de l'indignation, conscients que les indiscrétions de WikiLeaks qui les ont donnés en pâture à la presse à sensation ne peuvent pas avoir été le seul fait d'un espion amateur ou d'un décrypteur bénévole roulant sur du velours dans le terrain réservé des experts de la CIA et du KGB. Concrètement, ils sont nombreux les sceptiques qui s'interrogent sur les objectifs de cette «fuite à grande échelle». Sur la «source d'origine» et davantage encore sur les zones d'ombre ! A première vue, WikiLeaks est en train de tout déballer. Sur l'Iran, la Chine, la Corée, l'Irak, Sarkozy, le Maghreb… Des thèmes qui sont «prioritaires» pour la diplomatie américaine. Mais à lire de plus près la liste des sujets étalés par les médias à grand tirage, on s'aperçoit vite qu'un tri a été effectué à l'origine et que quelque part une main anonyme manipule ce flot d'informations à l'arrivée. Il n'y a rien qui puisse altérer l'image d'Israël, pas la moindre révélation sur l'évidente complicité de l'ex-administration Bush dans le génocide de Ghaza. Un plan génocidaire sur lequel on n'en sait presque rien. Pas la plus brève dépêche du Département d'Etat sur le programme nucléaire de l'Etat hébreu, classé tabou depuis 1971 sous Nixon déjà, donc top secret, pour figurer dans des conversations à bâtons rompus des émissaires américains à l'étranger. Rien non plus sur le feu vert établi de la Maison-Blanche laissant la justice de Maliki «suivre son cours» dans le procès des ex-dirigeants irakiens, ni sur les objectifs poursuivis par les Etats-Unis à travers l'invasion de l'Irak. Rien qui vient confirmer que Saddam Hussein n'avait pas la bombe nucléaire. Israël si, WikiLeaks en a certainement la preuve par le câble, mais on ne le dit pas. Ce battage médiatique a tout l'air d'une «fuite organisée», minutieusement préparée qui obéit à deux objectifs évidents. Le premier : présenter le regard que jette sur le monde une Amérique où l'éthique politique est de rigueur, celle de l'arbitre impartial dans les conflits entre les Etats et les malentendus entre les hommes qui les dirigent. Le second : soigner l'image des «amis». Les vrais. Conclusion : dans cette campagne sélective, n'apparaît pas une seule main mais au moins deux qui manipulent ce flot de renseignements spectaculaires. Celle, bien sûr, du site d'origine - alimenté, semble-t-il, par un novice de 23 ans - et celle du récepteur incontournable. On l'aura deviné, la CIA n'est peut-être pas en mesure d'intercepter un si grand volume de câbles mais d'en filtrer l'essentiel, c'est dans ses moyens. Elle a mobilisé, à cette fin, le puissant appareil diplomatique américain pour ne laisser passer que ce qui est utile à l'image de la démocratie américaine. WikiLeaks a peut-être beaucoup donné, mais pas tout. Beaucoup de zones d'ombre et d'interrogations !