Dans un monde qualifié par certains observateurs d'intolérant envers les minorités, notamment religieuses, et les accusations à tord ou à raison de certaines personnes, Cheikh Bouamrane, dans cet entretien, remet les pendules à l'heure. Des poursuites judiciaires contre des chrétiens sont enclenchées, la chasse aux non jeûneurs a enregistré des taux importants durant le mois sacré de Ramadhan et une communauté chrétienne qui ne rate aucune occasion pour fustiger les extrémistes de tout bord qui jouent aux donneurs de leçon. Idem pour une minorité de musulmans qui ne jure que par le combat. L'islam est pourtant une religion de tolérance tout comme le christianisme d'ailleurs. La foi est un choix intime et une conviction personnelle qui ne peut être imposée. C'est la conviction de Cheikh Bouamrane qui répond à nos questions. Quel regard portez-vous sur le phénomène des conversions au christianisme dans notre pays ? Ne pensez-vous pas que c'est une autre forme de harga ? Il n'y a aucune relation entre les deux phénomènes. Les jeunes qui veulent quitter le pays ne le font pas pour abandonner leur religion, mais pour des raisons sociales avant tout. Bien plus, lorsque les Algériens s'établissent à l'étranger, ils s'attachent encore plus à leurs valeurs spirituelles, de peur de se fondre dans les valeurs des sociétés étrangères. Ces derniers temps, un débat a été enclenché autour de la question des libertés religieuses, le culte chrétien en particulier. Qu'en pensez-vous et quels seront, selon vous, les résultats de ce débat ? La question de la liberté religieuse ne se pose pas chez nous, puisque l'islam a tranché là-dessus en laissant la liberté du choix aux hommes de croire ou de ne pas croire. Il dit à cet effet : «Vous avez votre religion et j'ai la mienne.» (Coran. S109, v6). Il dit aussi : «Qui veut croire, qu'il croit et qui ne veut pas croire, qu'il ne croit pas.» (Coran, V.18, s.29). Du point de vue de l'islam, la foi est un choix intime et une conviction personnelle qui ne peut être imposée. Le Haut Conseil islamique a organisé tout récemment une conférence donnée par un jeune Algérien qui s'est converti au christianisme, par ignorance de l'islam, selon lui, et qui est revenu à sa religion après une longue et mûre réflexion. Ce jeune a fait les deux choix, de son plein gré, sans être forcé par quiconque. Telle est la vraie liberté religieuse. Il a écrit, depuis, un livre dans lequel il raconte son expérience. Ne pensez-vous pas que l'enseignement des sciences islamiques à l'école est mis en cause, sachant que ces jeunes qui se convertissent ont tous fréquenté cette même école ? Il y a aussi beaucoup de jeunes qui quittent l'école de façon précoce, sans terminer leur cursus scolaire et sans connaître à fond les principes de l'islam. Ils sont exposés à la propagande de certains missionnaires qui les induisent en erreur. Le jeune Algérien dont il est question plus haut a dit que l'ignorance des vraies valeurs de l'islam fut une des causes de sa conversion au christianisme. Il y a aussi des raisons sociales et économiques à ce phénomène. Il est évident également que l'éducation et l'enseignement jouent un rôle non négligeable dans cette optique. La Constitution garantit la liberté de culte. Comment expliquez-vous l'assignation devant la justice de certains non-jeûneurs et quelques pratiquants du culte chrétien ? La Constitution garantit la liberté de culte. L'islam aussi la garantit. Cependant, nous sommes dans un pays où l'immense majorité du peuple est de confession musulmane. Les minorités non musulmanes sont libres de pratiquer leur culte, mais elles ont le devoir de respecter la religion de l'Etat et les convictions de la majorité des Algériens. Certains chrétiens parlent de persécutions. L'islam n'est-il pas tolérant et assez ouvert sur les autres, de même que le Prophète (Qsssl) a toujours prêché le respect de l'autre. Qu'en pensez-vous ? Il n'y a jamais eu de persécution de chrétiens en terre d'islam. Le Coran reconnaît l'existence des gens du Livre que sont les juifs et les chrétiens. Aussi bien le Prophète (Qsssl), ses successeurs, que tous les dirigeants de la communauté musulmane, tous ont eu une attitude de tolérance et de respect envers les autres religions. Que ce soit Omar Ibn Al-Khattâb lors de la conquête de Jérusalem, Salâheddine Al-Ayyoubi, jusqu'à l'émir Abdelkader et Ibn Badis. Quel sont, selon vous, les dessous des deux extrémismes, à savoir l'extrémisme islamiste et l'extrémisme chrétien ? On trouve dans toutes les religions des extrémistes qui sont minoritaires, alors que la majorité est souvent formée de fidèles équilibrés, vivant sereinement leur foi. L'extrémisme n'a pas sa place dans l'islam qui est une religion du juste milieu ou médiane comme la qualifie le Coran. Comment peut-on vivre dans un monde de tolérance, de respect et d'acceptation de l'autre, surtout que le débat interreligieux est déjà enclenché ? Grâce au dialogue fructueux et au respect mutuel. Même s'il y a eu des guerres dans le passé entre les musulmans et les chrétiens, il y a eu tout de même de longues périodes de coexistence, avec des échanges et des relations à divers niveaux. Cela est souligné par de nombreux historiens, dont l'Allemande Sigrid Hunke, l'auteure du livre Le soleil d'Allah brille sur l'Occident. Ce climat de tolérance et de coexistence doit se poursuivre dans l'intérêt de l'humanité, à charge pour chaque civilisation de respecter l'autre sans vouloir lui imposer ses valeurs. Entretien réalisé par