C'est un beau doublé, politique et de salubrité publique, qui vient d'être réussi par nos autorités et qu'il convient, par conséquent, de saluer comme tel. Notre vue ne sera plus agressée par ces monticules de pneus usagés qui défigurent le paysage de part et d'autre de la route. Non, dès que la mise en œuvre de la décision aura été achevée, nos échappées champêtres nous ragaillardiront comme jamais auparavant avec, cerise sur le «makrout», un environnement débarrassé des scories qui le défigurent. Il était vraiment temps de renouer avec l'esthétique environnementale. Et même dans les villes, un vieux pneu qui traîne dans le quartier, c'est jamais beau. Les vieilles personnes peuvent s'y prendre les pieds et courir le risque de se briser le col du fémur. Mais il n'y a pas que ça. Ces ronds noirs et moches comme des corbeaux – de malheur, bien entendu – donnent toujours des idées funestes à nos jeunes quand ils ont les nerfs à fleur de peau. C'est prouvé et éprouvé, leurs colères sont inspirées par Caton. Pour leurs feux de Bengale, le meilleur combustible reste indiscutablement le bon vieux pneu qui a fait tourner plus d'une fois le compteur d'un véhicule. Il brûle pendant des heures sans qu'il soit nécessaire de raviver son brasier. Et le panache noirâtre et hyper toxique qu'il dégage, vous l'avez vu ? Il monte haut dans le ciel et, étant visible de loin, il est un signal pour faire d'une petite émeute de quartier une émeute qui… rameute. La mobilisation à moindres frais, quoi. Loin de nous l'idée de remettre en cause son bien-fondé, la décision de nos autorités ne va-t-elle pas induire, pour les automobilistes déjà assez lourdement rackettés par les gardiens de parking autoproclamés, le paiement d'une «dime» supplémentaire qui sera baptisée «dime spécial émeutes» ? Ils seront bien obligés de casquer sous peine de retrouver leurs voitures montées sur parpaings en guise de roues. Le génie inventif de nos jeunes étant connu, ils n'auront sûrement pas de mal à trouver illico des solutions de substitution. Il faudra réfléchir dès maintenant à trouver les parades pour déjouer les innombrables tours qu'ils ont dans leur sac. Les poubelles en PVC dans les halls d'immeuble sont là, toutes désignées pour remplacer les pneus. Elles présentent l'inconvénient de brûler moins longtemps, mais elles brûlent quand même. Les autorités peuvent les interdire, mais cela n'ira pas sans de sérieux problèmes. Et puis il y a tous ces restes de chantier, vieilles planches et autres détritus, qui peuvent toujours entretenir des braseros. Il y aura décidément fort à faire pour que nos villes redeviennent propres. Là non plus, faut vraiment pas rêver. Si les autorités devaient s'atteler à ramasser, enlever, remiser, supprimer tout ce qui peut constituer un ingrédient matériel – humain aussi ? – d'émeute, on n'en finirait pas. Il reste, à titre préventif, chaque fois qu'il y aura de l'émeute dans l'air, à éloigner des villes, surtout de la capitale, ceux des jeunes prédisposés à en être les meneurs. Par exemple les expédier, tous frais payés, égayer un mach de foot Algérie-Egypte, qui se jouera évidemment au Soudan frère. L'opération sera un dérivatif, mais elle aura le mérite de consolider la réconciliation publique entre Raouraoua, le président de la FAF, et son homologue égyptien. Oups… Problème. Où, au Soudan ? Le Nord musulman ou le Sud chrétien et animiste qui sera prochainement un Etat indépendant ? Est-ce que le Soudan du sud sera toujours considéré comme pays frère ?