Avec Izuran III. Au pas de la sublime porte, Fatéma Bakhaï clôt sa trilogie sur l'histoire mouvementée de l'Algérie à travers divers siècles. Romancière, Fatéma Bakhai a su avec habileté raconter une saga puisée de l'histoire en menant à bien ses nombreuses histoires. Sans avoir la prétention d'être historienne, elle garde néanmoins le segment historique présent tout au long de son récit. Comme une conteuse, elle dévide le fil de l'histoire ; avec talent exhume le passé, traverse le temps et enjambe les siècles avec d'innombrables événements et personnages de cette lignée qui remonte au fonds des âges. Elle slalome aisément avec ses multiples protagonistes ; de son premier héro Poil rouge à Daman le païen en passant par Aghdim, Doria et s'engage avec Aicha et Hind l'Arabe et Mansour l'andalou jusqu'à Nafissa et Hadi. Dans Izuran 1, elle convoque les ancêtres de cette terre numide qui débute avec le néolithique jusqu'à la conquête arabe. Dans Izuran II. Les enfants d'Ayye, elle évoque la conquête arabe jusqu'à la chute de Grenade, et le troisième Izuran III. Au pas de la sublime porte relate de la période ottomane aux prémices de colonisation française. Dans ce nouveau roman, l'auteure nous introduit dans un voyage initiatique dans cette période ottomane ardue et trouble qui se caractérise par des rapines, rébellions, tueries et conquêtes en mer. Fatéma fait une dissection de ce Maghreb tourmentée où les Andalous sont venus sur cette terre pourchassée par les rois catholiques. Ils constituent une force lettrée et des corporations d'artisans en devenant les hadares. C'est l'époque où l'équilibre entre l'odjak des janissaires et la taifa (corporation des rais) est vite rompu et c'est la course effrénée des corsaires dans la mer Blanche (Méditerranée). Dans cette société en pleine évolution, elle décrit les Ottomans parlant l'osmanli avec leur sectarisme vis-à-vis des autochtones, des hadares et des kouloughlis. Sa narration débute avec l'enfant Omar dont la famille chassée d'Andalousie s'installe à Fès. Adolescent, dont la passion est la calligraphie, il vit dans ce milieu de hadara avec leurs coutumes et mode de vie. Voulant connaître le monde, il part à l'aventure à Alger en passant par Tlemcen et Wahran. Arrivé à El Djazair, il rencontre un corsaire avec lequel il s'embarque en mer et finit par s'installer à Alger. Son fils Selim poursuit l'œuvre de son père ainsi que Mourad, El Hadi, Mustapha et Abdelhamid, des générations de familles qui se perpétuent à travers cette généalogie qui a pris racine depuis des lustres dans ce pays El Djazair. La fiction se mêle à l'histoire A travers ses personnages haut en couleur, c'est un pan de l'histoire de l'Algérie et de Djazair en relation avec la Sublime Porte jusqu'au désir d'expansion de la France et de l'Angleterre. «Chacun jurait ne combattre que pour sa foi, croisade pour les uns contre les infidèles, djihad pour les autres contre les mécréants, mais la Méditerranée vibrait de piété pour mieux compter ses pièces.» Cette phrase témoigne du climat funeste et délétère de cette période. «La France et l'Angleterre ne cachent pas leur volonté de puissance, et la Sublime Porte voudrait encore croire à l'alliance du lys et du croissant, mais le plus inquiétant c'est que la France progresse et le pays stagne», mentionne un des héros de ce roman. La dette de la France de cent cinquante millions sera l'élément déclencheur du célèbre coup d'éventail du dey Hassan et de la colonisation française. La France avait trouvé le prétexte. Avec subtilité, Fatéma donne une magnifique fresque de cette société maghrébine d'époques différentes avec ses diverses facettes et poursuit cette trajectoire familiale atavique jusqu'au troisième tome. Dans ce roman, Izuran (racines), où la véracité historique se mêle à la fiction avec un art consommé, l'auteure nous fait prendre conscience d'un peuple avec de multiples legs ataviques qui font l'identité algérienne. Cette trilogie nous réconcilie avec nous-mêmes.