Dans la foulée des événements qui ont conduit au départ de Ben Ali puis de Moubarak, les pays occidentaux ont pris, apparemment, le risque hasardeux de pronostiquer la chute immédiate du régime de Mouammar Kadhafi. Les «alliés» ont-ils surestimé les chances des insurgés de s'emparer du pouvoir que le colonel libyen exerce d'une main de fer depuis plus de 41 ans dans son pays ? Un pouvoir qu'il n'est pas prêt à lâcher vue la brutalité avec laquelle il le démontre sur le terrain des affrontements ? Ou alors ont-ils sous-estimé, à ce point, la capacité du «Guide de la Révolution» à en finir «Dar bdar, zenga zenga» avec l'insurrection populaire et reconquérir les positions perdues à l'est du pays ? Le retournement actuel de la situation militaire sur le terrain, avec la contre-offensive militaire qu'il vient de lancer, apporte la preuve que les pays occidentaux qui n'ont rien vu venir en Tunisie et en Egypte ne sont pas plus renseignés sur ce qui se passe en Libye et n'ont rien compris aux aspirations des arabes qu'ils ambitionnent de piloter. Leur cafouillage diplomatique et l'incohérence de la position commune qu'ils envisagent de prendre sur la Libye en apporte la preuve. Ils attendaient la chute de Tripoli d'un moment à l'autre et c'est Ras Lanuf, le port pétrolier stratégique qui ouvre l'accès vers Benghazi et Tobrouk, qui risque de tomber d'un moment à l'autre. Ce retournement de situation est un vrai casse-tête pour les pays de l'Alliance atlantique dont les ministres de la Défense doivent décider, jeudi à Bruxelles, de la nature de la décision à prendre pour, officiellement, freiner «l'usage de la violence» contre les populations civiles en Libye. Concrètement pour que leurs armées mettent les pieds en Libye où leurs espions les y ont déjà précédées. Les Etats-Unis et les Européens n'ont pas encore fait le tour de cette question et rien ne semble attester du contraire. Trop d´intérêts divergent pour la prise entre les deux rives de l'Atlantique autour de cette décision commune. Nicolas Sarkozy ne veut pas d'une intervention militaire, souhaitée par les Américains et les Britanniques. C'est le retour au bras de fer entre Européens et Anglo-Saxons à la veille de l'invasion de l'Irak. Barak Obama est favorable à cette option militaire mais, à la différence de G. Bush dans le cas de l'Irak, il ne veut pas qu'elle se fasse de manière unilatérale. Plus réservés encore que la France, des pays comme l'Espagne qui cherchent à sortir du bourbier afghan ne sont pas prêts d'aller vers une aventure où Al Qaïda sera à coup sûr en première ligne. Alors, ils compliquent au maximum la procédure parlant aussi au nom d'une bonne partie des «27», José Luiz Zapatero pose une série de conditions : une intervention militaire internationale ne doit être envisagée qu'en «dernier ressort» et puis, soutient-il, «la communauté internationale n'a-t-elle pas déjà pris suffisamment de sanctions qui sont de nature à faire prendre conscience à Kadhafi, dans les plus brefs délais, que la voie qu'il a empruntée ne mène nulle part !» L'Espagne en tout cas n'ira en guerre qu'avec «l'accord du Conseil de sécurité de l'ONU, l'aval de l'Union européenne, des pays arabes et éventuellement le feu vert du Congrès des députés. Une procédure trop lourde ! Il faudrait aussi convaincre Moscou et Pékin de ne pas mettre leur veto à une telle initiative au Conseil de sécurité de l'ONU. Consensus plus qu'improbable lors du Conseil européen qui aura lieu vendredi à Bruxelles. Zapatero et ses pairs savent que les Parlements européens sont hostiles par principe à la politique du va-t-en guerre et que les pays arabes ont déjà répondu par un non catégorique, y compris le déploiement d'une flotte de l'Otan au large des côtes libyennes avec des avions de surveillance dans la région «sans violer l'espace aérien libyen». L'Algérie figure en tête parmi les plus durs adversaires d'une présence militaire étrangère au Maghreb. Elle a déjà fait savoir qu'elle s'opposait à une intervention militaire à ses frontières, voire à la création d'une zone d'exclusion aérienne qui clouerait au sol les avions de Kadhafi. Cette demi-mesure n'a pas fait ses preuves là où elle avait été appliquée. C'est le seul Etat dans le voisinage immédiat de la Libye dont les institutions fonctionnent et à n'avoir pas été affecté par la contagion «démocratique» qui a rendu la Tunisie et l'Egypte un peu à l'état de «terras nullius» (territoires sans maître). La logique géopolitique du Grand Moyen-Orient est rompue. Elle en paie quelque part le prix de sa position à travers une insidieuse propagande avec l'histoire des mercenaires africains qu'elle aurait transportés pour secourir Kadhafi. Cette campagne prend ses sources au Maroc, là où était établi – ce n'est pas un hasard – l'un des plus farouches opposants au régime de Kadhafi, préparé pour prendre la tête du futur Etat démocratique. Une accusation forte mais sans preuves, assez répétée pour prendre la forme d'une vérité. Certains insurgés y croient d'ailleurs et invitent le gouvernement algérien à prendre partie pour leur cause. Une implication d'une puissance régionale comme l'Algérie dans le conflit libyen qui arrangerait bien les partisans de l'intervention militaire au Maghreb.