Voilà ce qui doit faire énormément plaisir à Alain Juppé. Washington soutiendra les efforts de l'Otan jusqu'à ce que le départ de Kadhafi s'ensuive. Mais il n'est pas question que l'armée US revienne en première ligne après avoir confié les leviers de commande à ses alliés européens. Pourtant, ce changement de stratégie de la part de l'administration Obama a été quelque peu contredit par le Pentagone qui assure continuer ses raids aériens sur des objectifs militaires libyens. Rien de contradictoire, semble-t-il, Washington avait pris le soin de ne pas froisser ses alliés en optant pour des interventions ponctuelles à la demande. C'est plutôt de la contrariété que doit ressentir le patron du Quai d'Orsay, il aurait tant aimé que le grand frère d'Amérique s'implique davantage, surtout que l'objectif est le même pour tous : la chute de Kadhafi. C'est beau de signer une tribune commune dans laquelle Sarkozy, Cameron et Obama sont convaincus que la Libye n'a pas d'avenir avec le guide, mais noircir des pages entières d'encre noire ne suffirait pas à chasser Kadhafi de son bunker tripolitain. L'homme s'est même offert une parade dans les allées de sa forteresse lors d'une mise en scène réglée comme du papier à musique. Un show interrompu par de nouveaux bombardements de l'Otan que la Russie ne supporte plus d'entendre sous le dôme du Kremlin. La preuve d'un début d'intensification des raids aériens qui ont également concerné Syrte, la ville natale de Kadhafi ? Quel que soit le message lancé via ces attaques post-sommet de Doha, l'Otan a besoin de dix appareils pour mettre la pression, sinon ne pas la relâcher sur ce qui reste encore debout du régime libyen. Le fournisseur idéal serait bien sûr Washington, mais voilà que ses autorités font jusque-là semblant d'ignorer cet appel du pied de Paris et de Londres. Au grand bonheur de la chancelière allemande, Angela Merkel, qui a évité d'accrocher un sourire lors de sa conférence de presse commune avec Mme Clinton. Ce n'est pas parce que l'Allemagne est pour le maintien de Kadhafi au pouvoir, mais c'est la manière de tenter de le faire partir qui n'est pas du goût du gouvernement de Berlin. Il n'est plus le seul, les émergents Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) trouvent dans les frappes aériennes de l'Otan contre le régime libyen matière à s'unir et à faire entendre leur voix. Mettant de côté leur traditionnelle coopération économique, les Brics touchent ainsi à la chose politique sauf qu'il n'est pas certain que ce front anti-guerre puisse tenir longtemps. Aussi bien face au «choc libyen» qu'à d'autres qui surviendraient au cours de la tentative de mise à mort du «soviétisme arabe» par la grande stratégie de démocratisation du Moyen-Orient dans son ensemble. C'est dire qu'au-delà de leurs divergences de circonstance, les Occidentaux sont condamnés à l'entente s'ils veulent continuer de faire avancer leurs pions sur l'échiquier mondial. Certes, Andres Fogh Rasmussen ne croit pas que la solution est purement militaire, cependant prétendre qu'elle ne peut être que politique, c'est permettre aux kadhafistes de se remettre à rêver d'une transition politique qu'ils façonneraient de leurs mains ensanglantées. Si parmi les Brics certains croient en la mort politique du régime de Kadhafi, pourquoi donc n'exigeraient-ils pas de leur allié de faire ses valises et de laisser les Libyens choisir ce que bon leur semblera ? L'émergence d'un prochain gouvernement libyen pro-occidental n'est pas le bienvenu aux yeux des Brics. Pis, cela pourrait bien constituer un cas de jurisprudence, comme cela a été le cas au lendemain de la chute du Mur de Berlin. C'est parce que les Occidentaux pensent que la Libye n'a aucun avenir avec Kadhafi qu'ils vont continuer d'alterner actions militaires et activités diplomatiques. Quant au sort du guide, il semble plombé plus que jamais.