Fateh R. et Kamel S. sont deux jeunes inculpés de vol et de recel, faits prévus et punis par les articles 350 et 284 du code pénal. Deux délits ! Au premier regard, on ne peut rien voir. Et pourtant, il y a un os, et cet os ne peut être perçu que par ceux qui ont la maîtrise du droit. Il est impossible qu'une personne poursuivie pour vol le soit aussi pour recel. Il y a un non-sens. L'avocate l'a dit et crié fort. Heureusement pour l'esprit de justice, la victime avait pris de court et le tribunal et l'assistance. Elle a été catégorique et a affirmé que les deux voleurs ne sont par ces deux jeunes ! Dans cet affaire, le représentant du ministère public s'est fait petit. Il est même entré dans ses petits souliers. Il ne restait donc au président de la section correctionnelle du tribunal qu'à appliquer la loi... Jamais durant sa déjà longue carrière, maître Nassima Aïd n'a eu à plaider un dossier où le noir et le blanc se cognent, où le chaud et le froid se côtoient, ou le bandit et le flic sirotent une même tasse de café. Jamais ! Cette avocate n'avait rien dit à propos des deux délits collés aux deux inculpés, et ces deux inculpés portaient sur leurs frêles épaules le vol et recel. Demandez donc à n'importe quel professionnel du droit, il en rira, il s'en moquera, cela n'arrive qu'aux parquetiers débutants, et encore une chose est sûre : c'est arrivé à Cheraga, mais le hic, c'est au moment où la victime vit sortir les deux inculpés du box des accusés de crier ! «Monsieur le président, ce ne sont pas ces deux jeunes qui m'ont volé !» Un silence pesant suit la remarque. Liamine Louael, le président de la section correctionnelle du tribunal, regarde du côté de Zaïm, le représentant du ministère public et articule : «Un moment, jeune homme, je vais relire le passage où vous avez vite reconnu les deux présents. Vous avez exactement dit ceci : “Je les reconnais dès le premier coup d'œil, ce sont eux”.» La victime maintient : «Non Monsieur le président, ce ne sont pas ces deux-là !», le tout dit d'un ton calme et serein qui désarçonne le juge. Me Aïd attendait les demandes du procureur (cinq ans ferme) pour le vol à l'arraché du bijou. «Dites donc jeune homme, que s'est-il passé entre le jour des faits et ce mardi ?», intervient le magistrat qui va obtenir la même réponse de la victime. C'est alors que Me Aïd allait entrer en scène pour soulever un boucan dont elle a le secret. «D'abord, ces jeunes n'ont ni volé ni porté atteinte à la victime. Pour cela, c'est sûr. Pour ce qui est des délits, ils sont ridicules ou alors on vole un produit et on le cède à un receleur. Mais jamais nous n'avons vu un voleur poursuivi dans la foulée pour recel ! On croit rêver ! Qu'est-ce qui a pris le champion de l'opportunité des poursuites d'aller sur ce terrain ? Heureusement, Monsieur le président, que la victime est dans son bon jour, sinon vous auriez pu être confronté à ce dilemme. Il ne reste plus à l'honorable tribunal qu'à appliquer sévèrement la loi et laisser les cinq années réclamées par le parquet dans le domaine des légendes, pour ne pas dire aux blagues», avait récité l'avocate, qui sera heureuse de l'issue : relaxe sans autre forme de procès.