«Nous sommes une véritable aubaine pour les modestes bourses, et nous ne faisons aucun mal. Nous gagnons dignement notre croûte. Notre présence a sécurisé cette rue où étaient signalés, il n'y a pas longtemps, de nombreux vols à la sauvette», dira Houari, un jeune vendeur de légumes qui a installé son étal de fortune en face du quartier d'Es Seddikia. Pour lui, c'est une véritable solution qu'il offre aux ménagères. «Je propose la tomate à 30 DA le kilo et les oignons à 20 DA. Allez voir quelques mètres plus loin au marché couvert du Point du jour pour juger de la différence des prix. Nous offrons aux familles aux revenus modestes la possibilité de remplir leur couffin sans se ruiner», fera-t-il remarquer. Son histoire avec le commerce informel est longue, trop longue. «Je suis encore jeune et chaque cheveu blanc que j'ai sur la tête raconte une anecdote et mes multiples problèmes avec les rondes de police. J'ai souffert, j'ai vu à plusieurs reprises ma marchandise saisie par la police, j'ai été plusieurs fois interpellé, mais je tiens toujours bon et je suis fidèle à mon gagne-pain», fera-t-il remarquer. Depuis que les pouvoirs publics ont lâché du lest, Houari et plusieurs autres jeunes du quartier sont revenus réoccuper les lieux d'où ils avaient été chassés à plusieurs reprises par les policiers. «Ils étaient en permanence sur les lieux pour éviter notre retour et depuis les émeutes de janvier, ils sont partis. De plus, nous ne faisons aucun mal, même les riverains trouvent aujourd'hui leur compte, puisqu'avant notre départ, en fin de journée, nous procédons au nettoyage des lieux», fera remarquer notre interlocuteur. Saïd, Ali, Kader, el khodra au lieu d'el harga Pour plusieurs jeunes qui squattent le trottoir qui fait face au CEM Rahal Abbas à Es Seddikia, leur espoir pour une vie meilleure tient dans leur activité. «Si on nous chasse d'ici, il ne nous restera plus qu'à prendre place dans une embarcation de fortune pour périr en mer ou atteindre l'Europe. El khodra ouala el harga (vendre les légumes ou l'émigration clandestine), dira Kader, un jeune vendeur à la sauvette qui se vante d'avoir démocratisé la consommation de la mangue, je l'ai mise à la portée des petites bourses», avouera-t-il fièrement. Ces jeunes que nous avons rencontrés alors qu'ils officiaient, se disent toujours préoccupés par leur avenir. Ils reviendront un jour nous chasser des lieux. Nous voulons avoir des autorisations pour travailler librement. On nous a promis des cartes de vendeurs ambulants, mais à ce jour la mairie n'a pas bougé le petit doigt, c'est inquiétant», soutiendra Ali. A la mairie d'Es Seddikia, un élu avouera que les services de la commune ont reçu une instruction de la wilaya pour recenser les sites susceptibles d'abriter des activités du commerce informel et pour recenser les jeunes qui seraient tentés par ce type de commerce. «A ce jour, rien n'a été fait en raison de contraintes administratives. Nous sommes en train d'étudier la nature juridique de chaque site pour éventuellement entamer par la suite les démarches visant le recensement des jeunes désireux d'y activer», fera remarquer notre source. C'est une atteinte à notre activité La présence de ces jeunes vendeurs dans le quartier est très mal perçue par les commerçants installés au niveau du marché couvert de Point du jour. Pour ces derniers, ces intrus ont réduit considérablement leur chiffre d'affaires. «Moi aussi, je pense sérieusement à installer mon étal dehors. Si nos prix sont élevés, c'est parce que nous payons des charges. Nous payons le transport, la location de l'étal, les frais d'électricité, de gardiennage et autres taxes. Ces vendeurs à la sauvette n'ont pas tous ces frais, c'est pourquoi ils pratiquent des prix attractifs», avouera un commerçant de ce marché. Plusieurs commerçants activant au niveau de cette structure ont reconnu qu'ils sont eux aussi tentés par l'idée de quitter le marché et de s'installer dehors. «Moi je m'approvisionne au marché de gros. Je paie les frais de transport, la manutention, le gardiennage, la location de la table et c'est ce qui explique pourquoi je vends la tomate à 80 DA. Ce n'est pas comme les vendeurs à la sauvette qui s'associent pour s'approvisionner, pour payer les frais de transport. Ils n'ont pas de charges de location ou de frais de gardiennage, c'est ce qui explique pourquoi leurs prix sont bas», diront à la volée des commerçants de ce marché qui avouent qu'ils ont sollicité les services de la commune pour trouver une solution à leur problème. «Ça ne peut pas durer, il faut trouver une solution. Nous ne sommes pas contre ces jeunes, mais nous ne voulons pas qu'ils tuent notre activité. Nous aussi, nous avons des familles à nourrir.» Ces vendeurs à la sauvette, qui n'hésitent pas à se transformer en fin de journée en marchands ambulants pour écouler leur stock de la journée, se font comme point d'avoir chassé les voleurs à la sauvette qui infestaient les lieux. La chasse aux voleurs «Nous les avons chassés et malheur à celui qui s'aventurera dans les lieux. Même la nuit les tentatives de cambriolage des maisons, très fréquentes par le passé, ont disparu. Nous habitons ce quartier, et nous y travaillons. La quiétude des riverains est une assurance pour nous et c'est pourquoi nous y veillons», diront des jeunes vendeurs. Ces derniers soutiennent qu'ils ne gagnent pas des fortunes et que le peu qu'ils récoltent à la fin de la journée, suffit tout juste à faire nourrir, sans excès, leur famille. «Nous achetons nos produits aux halles centrales. Nous sommes, nous aussi, sujets aux fluctuations des prix. Quand la tomate dépasse un certain seuil, on ne la ramène pas pour ne pas subir de pertes», soulignera Ali, un jeune qui a failli périr en mer et qui est décidé à lutter jusqu'au bout pour garder sa place sur l'étroit trottoir de la rue où il officie. Les riverains dans l'expectative Plusieurs riverains que nous avons sollicités au cours de notre visite sur les lieux ne savent pas comment vivre cette situation. «Ce que nous voulons, c'est qu'ils laissent les lieux propres. C'est vrai, ils ont chassé les voleurs, c'est vrai que certains sont des soutiens de famille qui n'ont pas d'autres ressources, mais ils doivent veiller à la salubrité publique. L'été approche, et nous ne voulons pas subir des odeurs nauséabondes ou des nuées de moustiques. Ils sont libres de travailler mais qu'ils montrent un minimum de respect au voisinage», fera remarquer un habitant. Des clients rencontrés sur les lieux sont unanimes à reconnaître qu'ils s'approvisionnent auprès de ces vendeurs depuis leur retour au mois de janvier. «Allez voir les prix pratiqués par les commerçants du marché. Ici, au moins nous pouvons remplir nos couffins», dira un citoyen. En attendant de légaliser ces activités informelles, plusieurs jeunes vendeurs, qui se disent disposés à s'engager dans cette voie, ne manqueront pas de souligner : «Nous ne sommes qu'une poignée par rapport aux centaines de commerçants qui, même en ayant une belle enseigne et une belle vitrine, activent en pleine illégalité. Nous sommes pour l'organisation du secteur, mais que les autres, ceux qui gagnent beaucoup, soient au moins plus contrôlés. Ils pratiquent des prix prohibitifs et à la vue du moindre agent de contrôle, ils baissent les rideaux. Ce n'est pas comme nous qui sommes disposés à rendre les ménagères heureuses en leur offrant de quoi garnir leur marmite à petit prix.»