Jusqu'à quand cette situation va-t-elle encore durer ? C'est ce que se demandent les citoyens scandalisés par la flambée des produits agricoles. La majorité des familles en sont réduites à acheter le strict minimum, soit des baguettes de pain et des sachets de lait subventionnés. La frontière entre vivre et survivre est délimitée par les moyens, les moyens financiers, cela s'entend. Les marchés d'Alger sont presque vides et le peu de gens qui font leurs emplettes ressortent les mains et les poches soulagées. «Avec 1000 DA en poche, on ressort avec deux misérables sacs en plastique, à peine de quoi assurer un seul repas, la honte», fulmine Abdelkader, rencontré à l'entrée du marché Clauzel. A l'intérieur dudit marché, peu de monde circule, les marchands n'arrêtent pas de crier et d'inviter les acheteurs en montrant leurs marchandises. Djamel tente de séduire une vieille femme en cassant un haricot vert pour montrer qu'il vient d'être cueilli. Mais son prix fait fuir : 260 DA le kilo ! «De l'herbe de luxe», murmure la vieille. «Exact», renchérit Ahmed qui observait les petits-pois affichés à 180 DA le kilo. L'oignon, connu pour être le roi des légumes, a remis sa couronne pour atteindre 100 DA le kilo. De l'autre côté du marché, des marchands à la sauvette guettent les clients. «On liquide et on s'en va», crie Hakim. «Les oranges sont à 150 DA le kilo au lieu de 180 DA, les dattes à 350 Da au lieu de 400 Da le kilo, les pommes à 180 Da». Le rayon des fruits est boudé par les clients, vue la cherté des produits. Un jeune homme demande à Hakim de lui donner un kilo d'oranges… pour un malade. Au pays où il n'y a pas si longtemps on les offrait par caisses entières aux visiteurs, l'orange est devenue aujourd'hui un «alicament», un médicament que le consommateur algérien de classe moyenne achète presque sur prescription médicale. Derrière le vendeur d'épices, aâmi Omar, le doyen des marchands de fruits et légumes, est fatigué. «Je vous jure que j'ai honte.» Aâmi Omar exhibe une tomate de la dimension d'une balle de ping-pong et hurle : «Cette tomate est à 120 DA le kilo, elle mérite ce prix ? Le piment à 160 DA et le poivron à 140 DA. Des carottes à 70 DA, de la courgette à 90 DA, même les fèves ont de l'importance maintenant, elles coûtent 70 DA le kilo. Comment une famille peut-elle vivre dignement ?» «La viande brûle et le poisson aussi pour ceux qui l'ont vu !» Des bouchers sont installés derrière les marchands de fruits et légumes, mais le couloir menant vers ces derniers est vide. Notre tournée dans cet endroit a été longue. Tous les bouchers sans exception nous invitent à s'approcher d'eux. «Du poulet vidé à 300 Da le kilo et entier à 270 Da. Les abats sont à 200 Da le kilo», lance Hakim. Le vendeur du magasin mitoyen prend un morceau de viande fraîche, «750 Da le kilo, c'est un bœuf des Hauts-Plateaux, de la viande très tendre». Le foie est intouchable, il est cédé à 1800 Da le kilo. Djilali, dont la mère est malade, demande au boucher de couper deux lamelles de foie. «Si ma mère ne souffrait pas d'une maladie grave et que son état ne nécessitait pas une bonne récupération, je vous assure que je ne passerais même pas par cet endroit». «Je n'arrive pas à comprendre une telle hausse des prix et je pense que c'est l'avis de tous les Algériens. Même les produits de première nécessité sont hors de prix, on va vers une famine généralisée, mon frère», a ajouté Djilali. Du côté de la pêcherie du port d'Alger, les caisses sont vides et les pêcheurs sont à quelques pas d'une faillite annoncée. Mouloud crie à qui veut l'entendre que «le poisson est introuvable. Le peu de réserve qui reste est vendu à des restaurants de luxe où le simple citoyen ne sent même pas son odeur». La sardine est introuvable et son prix a atteint les 350, voire 400 DA le kilo. «Allez voir chez ce restaurateur, une assiette de sardine (environ 8 sardines) est à 200 DA. Dans un pays qui a 1200 km de côtes, la sardine devrait être offerte aux clients». Les légumes sont de nos jours un luxe que la majorité de nos concitoyens ne s'offrent pas. Les fruits sont intouchables, ils sont destinés aux malades et la viande est réservée uniquement aux riches, sinon pour les fêtes. Jusqu'à quand ? Personne ne le sait mais, selon les commerçants, les prix sont le fruit d'une politique agraire qui a fait faillite.